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ET CRITIQUE

Jodelle ayant gaigné par une voix hardie
L’honneur que l’homme-Grec donne à la tragédie,
...................
La Brigade, qui lors au ciel levoit la teste
(Quand le temps permettoit une licence honneste)
...................
Luy fit present d’un bouc, des tragiques le prix.
(Bl., VII, 111.)


De son côté, E. Pasquier emploie toujours le mot brigade pour désigner l’école des poètes ronsardiens, au nombre desquels il se range (v. par ex. Rech. de la Fr., VII, chap. vi). Sans affirmer que ces exemples sont péremptoires, on peut penser qu’ils sont assez probants pour justifier dans une large mesure l’opinion opposée à celle de Mlle Evers.

En tout cas, il reste acquis que l’école poétique dite « de la Brigade » se composa d’abord d’une quinzaine de disciples de Dorat rangés en 1549 sous la bannière de Ronsard et entraînés par le manifeste de Du Bellay[1], qu’elle s’augmenta les années suivantes d’un bon nombre de poètes, dont quelques-uns très remarquables, tels que Des Autels, Tyard, Magny, Jodelle, La Péruse, Belleau, Tahureau, et qu’en peu de temps la petite troupe primitive devint légion. C’est pour réagir contre cette invasion d’imitateurs, dont les médiocres risquaient de compromettre la gloire de son école, que Ronsard distingua une élite dans la Brigade dès 1553. C’est dans l’élégie A J. de la Péruse qu’il fit connaître cette élite, assez discrètement d’ailleurs, savoir : Du Bellay, Tyard, Baïf, Des Autels, Jodelle et La Péruse[2]. Ce dernier étant mort dans le courant de 1554, Belleau vint à sa place « en la brigade des bons », pour parfaire le nombre des sept étoiles qui dans l’esprit de Ronsard formaient un groupe comparable à celui de la Pléiade alexandrine (v. ci-dessus, p. 220).

Et l’on voit que la composition de la Pléiade française diffère sensiblement de celle qui est traditionnelle. Dorat n’en faisait pas partie, pour cette raison bien simple qu’il écrivait presque toujours en grec et en latin ; on le mettait en dehors et au-dessus ; on lui réservait le titre, d’ailleurs mérité, de « pere des poëtes »[3]. Mais ce qui est surtout curieux, c’est que Ronsard, voulant y faire entrer Jacques Peletier après la publication de l’Art poëtique (juin 1555), lui sacrifia Des Autels, qu’il estimait pourtant d’une façon toute particulière. Nous avons la preuve de cette substitution dans huit vers de l’Hymne de Henri II, qui parurent dans la deuxième moitié de 1555 et furent conservés dans l’édition collective de 1560 :

Non je ne suis tout seul, non, tout seul je ne suis,
Non je ne le suis pas qui par mes œuvres puis

  1. Cf. Chamard, thèse sur J. du Bellay, pp. 47 à 49 ; Laumonier, thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 49 à 51.
  2. Cf. Bl., VI, 43 à 45. À la même époque d’ailleurs Ronsard publiait le poème des Iles fortunées, où il faisait entrer dans sa « chere bande » plus de quinze poètes, outre les sept de l’élégie A J. de la Peruse, peut-être pour atténuer l’effet de ses exclusions. (V. mon Ronsard p. lyr., p. 110.)
  3. Cf. A. de Baïf, éd. Marty-Laveaux, II, 440.