Page:Binet - La Vie de P. de Ronsard, éd. Laumonier, 1910.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
DE PIERRE DE RONSARD

sant cet honneur de me communiquer familierement tant les desseins de ses ouvrages, que les jugemens qu’il donnoit des escrivains du jourd’huy, il se plaignoit fort de certain stile dur et ferré qu’il voyoit s’authoriser parmy nous[1]. O, disoit-il, que nous sommes bien tost à nostre barbarie, que je plains nostre langue de voir si tost son Occident[2] *. Puis[3] me parlant de tels auteurs qui s’ampoullent et font sans chois Mercure de tout bois : Ils ont, me disoit-il, l’esprit plus turbulent que rassis, plus violent qu’aigu, lequel imite les torrens d’hyver, qui attrainent[4] des montaignes autant de boüe que de claire eauë : voulant eviter le langage commun, ils | s’embarrassent de mois et manieres de parler dures, [28] fantastiques, et insolentes, lesquelles representent plustost des Chimeres, et venteuses impressions des nuës qu’une venerable Majesté Virgilienne : car c’est autre chose d’estre grave et majestueux, et autre chose d’enfler son stile et le faire crever *. Pource, faisant[5] une parodie sur un vers d’Homere, quand Andromache dit à son Hector, le voyant sortir hors la porte tout armé, Ta vaillance te perdra : Ainsi (disoit-il) le chaud[6] bouillon de la jeunesse de ces singes imitateurs, et l’impetuosité de leur esprit, conduit seulement de la facilité d’une nature depravée, sans artifice laborieux, perdront[7] leur naissante reputation *. Disant[8] au reste que quelques uns d’iceux eussent peu estre capables de la Poësie, et[9] d’estre mis au rang des bons Poëtes, s’ils eussent peu recevoir correction. Mais parlant de quelques autres, qui suivants cette bande prostituent les Muses, et les habillent et deguisent à leur mode, il ne peut un jour se tenir qu’il ne me dictast sur le champ ces vers :

Bien souvent, mon Binet *, la troupe sacrilege
Des filles de Cocyte * entre dans le college
Des Muses, et vestant leurs habits empruntez
Trompent les plus rusez de caquets eshontez,
Qui rampent cautement, se coulent et se glissent
Au cœur des auditeurs, qui effrayez pallissent

  1. BC il se plaignoit fort de ne sçay quelles façons d’escrire, et inventions fantastiques et melancholiques d’aucuns de ce temps, qu’il voyoit s’authoriser parmi nous, et qui ne se r’apportent non plus que les songes entrecoupez d’un frenetique, ou d’un fiévreux, duquel l’imagination est blessée *.
  2. BC de voir en naissant son trespas
  3. A Occident : puis | C trespas : puis
  4. 1609, 1617, 1630 attaignent | 1623 atteignent
  5. A crever : pource faisant | BC crever. Puis faisant
  6. A te perdra, Ainsi le chaud | C te perdra, ainsi disoit-il le chaud
  7. BC perdra
  8. A reputation : disant | B reputation : Disant
  9. C quelques uns d’iceux pouvoient estre capables de ce bel art, et