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COMMENTAIRE HISTORIQUE

d’Elegie. C’est seulement à partir de 1623 qu’on a ajouté le sous-titre Contre les Bucherons de la forest de Gastine. Quant à l’appellation de « Satire de la Dryade violée », on ne la trouve pour cette pièce dans aucune édition, contemporaine ou posthume, ni comme titre ni comme sous-titre ; les mots dryade et violée ne se rencontrent même pas dans la pièce elle-même, et d’ailleurs, en fait, elle n’est pas une satire mais une élégie.

D’autre part, Binet dit un peu plus loin, et dès sa première rédaction, que les Satires de Ronsard ne furent pas publiées, et qu’il tenait de la bouche même du poète que « quant aux satyres on n’en verroit jamais que ce qu’on en avoit veu » (allusion probable aux « discours » politiques, et peut-être aussi à certains passages des Estrennes du Roy Henri III, de décembre 1574 (Bl., III, 285-86 ; VII 306). La tournure syntaxique employée par Binet pour parler de la Dryade violée, comme de la Truelle crossée, ne semble-t-elle pas indiquer aussi que ces deux satires n’ont pas été publiées ?

Enfin, on ne voit pas que dans l’Elegie contre les bucherons Ronsard « reprenne aigrement de l’alienation du domaine et d’avoir fait vendre la coupe de la forest de Gastine le Roy et ceux qui gouvernaient lors ». Elle ne contient pas un seul vers où il soit question d’eux. Et s’il est vrai, comme je le crois (sans toutefois en être sûr), que le bûcheron de la forêt de Gastine ne faisait qu’exécuter l’ordre d’un roi, et que les apostrophes du poète s’adressent à ce roi bien plus qu’au bûcheron, il est faux que ce roi soit Charles IX. En effet, d’abord il ressort de tous les documents relatifs aux aliénations du domaine royal sous les règnes de Charles IX et de Henri III (1566, 1574, 1579) que ces rois, bien loin de faire abattre ou de laisser abattre les forêts qui en dépendaient, ont cherché à en assurer la conservation par des ordonnances, édits et règlements très sévères (cf. Fontanon, Ordonnances des Rois de France, II, pp. 363-67 ; Isambert, Recueil des Anc. Lois, XIV, p. 454 ; Pecquet. Lois forestières, II, p. 451). En second lieu la forêt de Gastine n’appartenait pas au roi de France, mais à Henri de Bourbon, duc de Vendôme depuis la mort de son père (1562) et roi de Navarre depuis la mort de sa mère (1572) ; et c’est le roi de Navarre qui a vendu la forêt de Gastine en 1573 pour commencer à payer avec son patrimoine les dettes contractées par Jeanne d’Albret (cf. un article de J. Martellière, Annales Fléch. de mai 1907, p. 186).

Pour moi, la « Satire de la Dryade violée » était tout autre chose, de bien plus long, plus direct et plus violent, que l’Elegie contre les bucherons. Tout au plus pourrait-on dire que nous possédons dans l’Elégie un fragment que Ronsard a détaché lui-même de la Satire en question et a consenti à publier ainsi en 1584. La Satire était dans ses manuscrits depuis 1573 ; elle circulait même probablement sous le manteau. En 1584, Ronsard se sera décidé à en publier une partie, la plus anodine, la plus générale, celle où la personne du roi de Navarre, suzerain des Ronsart de la Possonnière, disparaissait à peu près complètement.

Colletet parle aussi de la Dryade violée (Vie de Régnier, fragment cité par Rochambeau, op. cit., p. 238) ; mais son témoignage n’éclaire en rien la question, n’étant que la reproduction de celui de Binet.