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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

gens qui souffrent ». Or, remarquons bien ce que ces réponses nous révèlent sur la mentalité de l’enfant ; elles nous prouvent que le don d’invention qu’il possède est encore peu différencié ; l’enfant tout jeune interprète la gravure au moyen d’images vagues, banales, qui conviennent aussi bien à toutes sortes de gravures et par conséquent ne conviennent à aucune. En effet, reconnaître que dans la gravure montrée il y a un homme, ou une femme, c’est faire une constatation banale ; on spécialise davantage lorsqu’on décrit la position des personnages, leur manière d’être et leurs occupations ; la spécialisation va encore plus loin lorsque l’enfant dépasse la description, et fait une interprétation du sens de la scène. Énumérer, décrire, interpréter, ce sont les trois étapes de l’évolution de la pensée ; cette évolution consiste dans le passage du vague au précis, du quelconque au spécial ; ce passage, l’enfant jeune est en train de le franchir.

La puissance de la censure est, chez lui, aussi limitée que le reste. Il se rend mal compte de la justesse de ce qu’il dit et de ce qu’il fait ; il est aussi maladroit de son esprit que de ses mains ; il est remarquable par sa facilité à se payer de mots, à ne pas s’apercevoir qu’il ne comprend pas. Les pourquoi dont sa curiosité nous harcèle, ne sont guère embarrassants, car il se contentera naïvement des parce que les plus absurdes. Il démêle très mal la différence entre ce qu’il imagine ou souhaite et ce qu’il a réellement vu, et cette confusion explique beaucoup de ses mensonges. Enfin, tout le monde connaît son extrême suggestibilité qui dure jusque vers l’âge de quatorze ans ; elle est de nature compliquée, car elle tient de son caractère autant que de l’imperfection de son intelligence ; en tout cas, cette suggestibilité est encore une preuve de son défaut de censure.

Avec cette mentalité-là, telle que nous venons de la décrire, l’enfant ressemble beaucoup, comme intel-