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LA MÉMOIRE

un discours, ou même une page de livre, on fait vivre des images de sons, une voix intérieure. On a remarqué aussi que cette voix intérieure accompagne toutes les opérations de notre pensée, et les rend claires et conscientes, et en effet on ne saurait exagérer l’importance de ce langage interne pour la constitution des pensées abstraites. Lorsque par exemple j’arrête cette résolution : « j’irai demain à mon laboratoire », il se produit en moi une prononciation de cette phrase. Lorsque je me rappelle qu’un collègue m’a dit : « la théorie philosophique du parallélisme est une absurdité », je puis bien revoir sa figure et le geste de sa main, mais quant à sa parole, elle revit en moi, comme parole.

On a donc supposé que les images auditives jouent un rôle très important dans l’idéation qui concerne le langage. Mais des analyses plus exactes, et surtout de nombreuses expériences ont montré l’erreur de cette interprétation. L’analyse prouve que lorsque nous croyons entendre, dans notre audition intérieure, une voix qui prononce des phrases, nous n’avons pas affaire à une image auditive pure, mais plutôt à une image motrice, à une articulation faible et commençante, qui s’accompagne de quelques fragments d’images auditives. La vraie mémoire du langage serait donc une mémoire d’articulation, ou, si l’on préfère, elle résulterait de l’acquisition d’une habitude motrice. Apprendre un morceau par cœur, c’est acquérir un mécanisme tel qu’on puisse le réciter à volonté : il y a très peu d’images auditives dans cette récitation ; il n’y en a pas plus que dans le cas où prenant part à une conversation nous prononçons une phrase ; nous la prononçons sans avoir besoin de nous la représenter auditivement. Ce qui a produit la confusion, c’est que la différence n’est pas très grande entre la mémoire motrice et l’image auditive ; elle est même assez petite, et on est quel-