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Page:Binet - Les Idées modernes sur les enfants.djvu/258

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LES APTITUDES

de cet état de choses que l’auditoire de la classe de philosophie se recrute parmi les élèves les moins bien doués pour les sciences. Cette absence d’aptitude pour les mathématiques et pour les sciences en général s’observe aussi, à l’âge adulte, chez beaucoup d’individus, même cultivés, même d’intelligence supérieure qui reconnaissent sans fausse honte leur incapacité, quelquefois même s’en font gloire. Du reste, cette incapacité, prise dans un certain sens, est commune à tous ; car, à mesure que les mathématiques s’élèvent, le nombre de ceux qui les comprennent décroît avec une rapidité vertigineuse ; et on remarquait dernièrement, en célébrant la puissance mathématique de Poincaré, qu’il n’existait probablement pas dans le monde entier plus de dix personnes en mesure de le suivre.

Sur quelle qualité mentale mystérieuse est donc fondée la faculté mathématique ? Nous l’ignorons et quoique Poincaré ait entrepris de nous l’expliquer dernièrement[1], nous ne sommes pas bien sûrs, quant à nous, d’avoir réalisé son explication. La psychologie de l’acte de comprendre reste très obscure ; il semble qu’elle se passe tout entière dans l’inconscient. Lorsqu’on saisit le sens d’une proposition verbale, il faut bien que chaque mot joue un rôle dans le sens total, puisque le sens total dépend de chacun d’eux ; mais c’est par raisonnement que nous supposons cette perception du sens de chaque mot, ainsi que le rapprochement de tous les sens particuliers pour former une synthèse, car nous saisissons la phrase dans son ensemble ; en un mot, nous n’appréhendons que le résultat synthétique. C’est ce qui fait que nous avons de la peine à comprendre comment on comprend. C’est bien regrettable ; s’il était possible de savoir

  1. Voir Poincaré, La psychologie de l’invention. Année Psychologique, XV, 1909.