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LES APTITUDES

Il ne faudrait pas se contenter de deux observations, qui, à tout prendre, sont un peu exceptionnelles, pour faire une théorie générale de la méthode d’inspiration. Je crois que tous, ou presque tous, nous avons des inspirations ; mais elles sont moins dramatiques que celles de Poincaré, moins envahissantes que celles de Curel. Nous avons surtout le sentiment que certaines idées se forment en nous d’elles-mêmes, qu’elles s’organisent sans nous, et que nous les laissons faire. Souvent, rapporte Souriau, c’est dans un état de rêverie que ces idées se forment ; nous sommes alors dans un relâchement de l’attention qui est favorable à l’inconscience. Parfois, le seul caractère propre à l’inspiration, c’est le caractère involontaire de l’idéation. Quant à la qualité du travail produit avec cette méthode, nous ne pensons pas qu’elle soit inférieure ou supérieure à celle du travail de réflexion ; nous supposons même qu’il serait impossible de déterminer, en présence d’une œuvre, comment elle a été travaillée. Si jamais un auteur a fait une œuvre dont la systématisation est poussée jusqu’à la raideur, c’est bien Spencer ; on n’aurait jamais pensé qu’il avait employé constamment la méthode d’inspiration, si lui-même ne l’avait pas confessé.

Nous voilà bien loin des questions d’éducation ; du moins, on pourrait le croire. L’école n’est pas le milieu où l’on rencontre et où l’on peut étudier ces phénomènes si subtils de division de conscience ; ou plutôt, nous ne les connaissons pas encore suffisamment, ces phénomènes, pour pouvoir les reconnaître chez de jeunes enfants. Nous n’aurions donc pas songé à en parler ici, dans ce livre à caractère essentiellement scolaire, si les pédagogues n’avaient pas tiré de ces faits quelques conclusions intéressantes pour l’hygiène du travail intellectuel ; et il faut absolument dire un mot de ces conclusions, qui sont très justes, très utiles, à la condition toutefois qu’on n’en exagère pas la portée.