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Page:Binet - Les Idées modernes sur les enfants.djvu/284

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côté de l’Atlantique, sont encore neuves chez nous ; l’importance des arts manuels n’est point appréciée à sa valeur vraie ; elle a encore contre elle bien des préjugés.

Qui est-ce qui n’a pas observé dans la vie des hommes qui sont fort intelligents, qui ont des idées générales sur toute chose, qui les expriment bien, avec clarté, avec bon sens, et même avec profondeur, qui se montrent à l’occasion des orateurs éloquents, et qui, cependant, par un contraste piquant, sont extrêmement maladroits de leurs mains, si maladroits que le moindre des ouvriers se moquerait d’eux ? On me citait dernièrement un exemple très net de ces aptitudes partielles : c’est un chef de Direction dans une des Administrations de l’État, qui a dû une grande autorité à son don de parole et à son esprit clair, ordonné, méthodique ; il pouvait improviser, sur n’importe quelle question, un rapport plein de bon sens ; mais il était incapable de planter un clou ; il ne pouvait pas se rendre compte si un tableau pendu au mur de sa chambre était droit ou de travers ; cycliste, il était de ceux qui ne comprennent rien à leur machine, qui sont incapables de réparer en route le pneu qui crève ; il n’aurait même pas su serrer un écrou. J’ai connu personnellement un ancien élève de l’École normale, qui présentait les mêmes qualités et les mêmes défauts. Je n’ai jamais rencontré un aussi bel orateur ; il était impossible de le prendre au dépourvu. Président d’une petite société scientifique, il savait parler avec un goût et une correction toute présidentielle des questions qu’il connaissait le moins ; pour peu que quelqu’un lui donnât le la, aussitôt il apprêtait son archet ; sa parole était une vraie musique. Il avait du bon sens, de la riposte, et de l’esprit d’à-propos dans les discussions ; il avait, en outre un talent réel d’organisation. Peut-être l’originalité lui faisait-elle défaut ; ceux qui ne le connaissaient pas beaucoup