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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

prise « Mais, Monsieur, c’est vous. » Cela veut dire qu’en un quart d’heure, il en avait appris plus qu’un élevé ordinaire en dix séances de manipulations. Cet élevé étonnant d’habileté manuelle est devenu plus tard un de mes meilleurs collaborateurs ; je ne dirai pas son nom, pour ne pas offusquer sa modestie ; car je suis obligé de constater encore son ingéniosité à trouver des dispositifs d’expérience, son aptitude à préciser, corriger la méthode expérimentale, et ses qualités hors ligne de critique ; c’est l’esprit le plus pondéré, le plus fin, le plus pénétrant que j’aie connu ; ajoutons à cela une grande vivacité d’esprit, qui lui donnait la qualité, que je n’ai jamais rencontrée à ce degré, de deviner la pensée de quelqu’un au premier mot d’une phrase. Après tous ces compliments, je suis obligé d’ajouter que ce n’est pas un esprit complet. Lui-même est trop bon psychologue pour ne pas s’en être aperçu. Ce qui est un peu faible chez lui, c’est le verbe. Il n’écrit pas avec la même profondeur qu’il pense ; dans sa correspondance, les phrases se suivent, trop simples, accrochées par l’élémentaire conjonction et ; il y a peu de phrases subordonnées, peu de nuances. Ses articles sont aussi d’une langue élémentaire, et c’est fort regrettable. Sa parole est sans recherche, sans brillant, mais elle est si nette, si précise qu’on s’attache au fond plus qu’à la forme. Je lui ai entendu faire des cours ; certes ce n’est pas un orateur, il n’a pas de mouvements d’éloquence, des changements adroits de ton, ni des phrases piquantes, ni rien de ce qui donne une auréole à la pensée ; il parle sobrement, avec la densité d’un avocat d’affaires, et c’est à force de méthode, d’ordre dans l’exposition, d’ingéniosité dans les aperçus, et même de profondeur dans la pensée, qu’il gagne son auditoire ; il ne doit rien au verbe.

Que d’exemples on pourrait encore citer de ces deux types d’esprit, qui sont si différents ! J’ai vu des philo-