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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

principe de l’abstention ne peut pas constituer un système complet d’éducation. D’abord les conséquences en seraient trop brutales ; il y a des actions dangereuses qu’on ne permettra jamais à un enfant. S’il s’approche trop d’un précipice, pendant une course en montagne, on le tirera par le bras ; s’il entre dans votre cabinet de photographie et veut boire une solution de cyanure de potassium, on ne le laissera pas boire, sous prétexte que « ça lui apprendra ». Il faut donc intervenir de temps en temps pour adoucir quelques-unes des sanctions trop rigoureuses de la nature. L’ensemble des autres sanctions est-il suffisant pour former un caractère et surtout une moralité ? c’est à discuter. Ceux qui l’admettent doivent supposer implicitement que la vie peut devenir une école de sagesse et de bonté ; nous croyons plutôt que si elle donne des leçons assez précises pour nous rendre des utilitaires, en revanche la bonté et la moralité dépendent d’un idéal qui la dépasse. En tout cas, il est indiscutable que lorsqu’on a pour devoir d’élever un enfant, de l’instruire, ou lorsqu’on a une classe à faire, il est radicalement impossible d’attendre que la nature soit intervenue pour montrer aux enfants les conséquences de leurs actes ; il faut intervenir soi-même, et sans perdre de temps. Je me rappelle à ce propos une observation qui m’a été contée ; elle semble s’inspirer du système de Spencer, mais elle en est une application impitoyable. Un jeune garçon avait été mis en pension dans une école tenue par des frères ; il était fort peu religieux, et il prenait plaisir non seulement à troubler la classe, mais à faire des plaisanteries de mauvais goût contre la religion. Les prêtres auraient pu décider son renvoi ; ils le punirent autrement, et d’une façon bien plus cruelle. On ne s’occupa pas de lui, on ne lui corrigea jamais un devoir, on ne lui fit jamais réciter une leçon. À dix-huit ans, lorsqu’il sortit de pension, il