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Page:Binet - Les Idées modernes sur les enfants.djvu/340

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LA PARESSE ET L’ÉDUCATION MORALE

crée chez l’enfant un état de croyance dont il ne pourra plus se débarrasser quand il sera parvenu à l’âge d’homme. Sans doute ces scrupules sont très louables ; ils montrent que l’on comprend bien maintenant que l’enfance reçoit facilement des empreintes ineffaçables et que l’instituteur ne doit pas abuser de sa puissance. Je me rappelle à ce propos qu’un père de famille, qui n’était nullement croyant, me disait un jour, en parlant de son fils, âgé de six ans : « Je vais l’envoyer chez les prêtres ; de cette façon, il aura des sentiments religieux qui dureront toute sa vie. » Il y a quelque chose de choquant dans cette atteinte à une personnalité qui ne peut pas encore se défendre. Mais ne tombons pas d’un excès dans un autre ou plutôt ne confondons pas les méthodes d’éducation avec le but de l’éducation. Le but est de faire des hommes libres, mais la méthode ne peut pas consister à traiter un enfant en homme libre, ni à faire appel à sa raison, quand il est encore à un âge où il n’a pas de raison. Nous l’avons répété comme un leitmotiv dans tout ce livre, l’éducation consiste à provoquer des actions utiles, des habitudes et par conséquent à faire fonctionner toutes nos facultés, celle du jugement aussi bien que les autres. La moralité de l’enfant ne se crée pas avec des idées, elle ne résulte pas d’arguments qu’on lui adresse, et les exposés des raisons ne servent qu’à éclairer, diriger, fortifier, justifier, rationaliser une tendance morale quand elle est déjà formée. Cette tendance morale est chez les enfants le résultat de deux mobiles principaux : d’abord le respect qu’ils ont pour leurs parents et leurs maîtres, c’est l’élément d’autorité, c’est l’idée d’obligation, qui est nécessaire à tout système de morale pour qu’elle soit efficace ; et ensuite, les sentiments d’altruisme, la bonté, la charité, la sympathie, l’affection, le désintéressement, tous ces mobiles chauds et tendres qui conduisent au don de soi et qui donnent à la moralité un cœur.