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VISION ET AUDITION

est plus ou moins compromis pour les enfants à vision anormale ; ils y restent étrangers, ou bien ils le comprennent mal, ou bien encore, ils prennent l’habitude fâcheuse de copier sur leurs camarades.

Pourquoi ne se plaignent-ils pas ? Par timidité, souvent ; souvent aussi par ignorance, inconscience, parce qu’ils ne se doutent pas qu’ils voient mal, plus mal que les autres. On me citait dernièrement un jeune homme qui était arrivé jusqu’en rhétorique sans s’apercevoir de sa myopie. Cela paraît tout à fait étrange, et cependant je ne puis pas douter du renseignement, je le tiens de première main. Parfois, l’enfant masque à son maître sa faiblesse de vision par une sorte de ruse inconsciente. Un très intelligent professeur m’a rapporté qu’un de ses élèves faisait souvent des fautes considérables en copiant les énoncés écrits au tableau noir ; le maître était surpris de ces fautes, il n’hésitait pas à les attribuer à une étourderie persistante du jeune enfant, qui avait pourtant l’air fort appliqué ; et il le punissait chaque fois. Ayant appris plus tard à faire l’examen de la vision, ce professeur constata que son jeune élève était atteint d’une myopie accentuée et ne pouvait pas lire ce qui était écrit au tableau noir. Il ne lisait pas, mais il cherchait à interpréter, il devinait. En me rapportant cette histoire, le professeur avait le remords des punitions nombreuses qu’il avait infligées à cet innocent. Évidemment, ce qu’il fallait à cet enfant, ce n’était pas des punitions, mais une bonne paire de lunettes[1].

Ces constatations, ces statistiques, ces raisonnements sont certes assez impressionnants pour qu’on se donne la peine d’examiner la question de près. J’ai entrepris une recherche à ce sujet, il y a cinq ou six ans, avec

  1. Jourde. Une expérience indispensable, Bulletin de la Soc. de l’Enfant, 1906, no 31.