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VISION ET AUDITION

ment la première lettre venue d’une carte murale à un enfant, l’exercice perdrait sa méthode ; on en viendrait à demander à l’enfant de décider lui-même s’il a une vision longue ou courte. La prescription relative aux distances et à la grandeur des lettres paraît être plus grave, et avoir un fondement scientifique ; il a été calculé par les oculistes que l’image rétinienne d’une lettre de 0m,007, vue à 5 mètres, est en rapport avec les dimensions des éléments sensibles de la rétine, et on s’est imaginé que si deux points lumineux sont assez voisins pour se peindre sur un seul cône, ils ne produisent pas deux impressions, mais une, et qu’il faut que les deux points, pour être perçus doubles, soient séparés par un espace égal au diamètre d’un cône[1]. Mais on s’aperçoit, aujourd’hui, que cette localisation anatomique de l’excitation a peu d’importance car percevoir est une opération qui exige toujours une intervention active de l’intelligence, et qui est d’autant plus fine que l’intelligence est plus déliée ; on ne mesure pas l’acuité d’un sens d’une manière absolue, mais par rapport à ce jeu nécessaire et inévitable de l’intelligence[2]. À mon avis, la grande, la vraie, la seule raison d’accepter comme mesure d’acuité normale de la vue les règles que nous venons de dire n’est pas une raison physiologique, mais une raison sociale. D’abord, avec cette convention, le nombre des déficients de la vision n’est pas assez grand pour constituer la majorité dans la société et dans une classe d’enfants ; on peut donc s’en occuper d’une façon spéciale, et quand il s’agit d’enfants, leur donner des places privilégiées dans la classe ; en second lieu, cette convention est d’accord avec la

  1. E. Javal. Physiologie de la lecture et de l’écriture. Paris, Alean, 1905.
  2. J’ai montré ailleurs qu’il est impossible de faire une mesure scientifique de l’acuité des sens. Voir Année Psychologique, IX, 1903, p. 247.