Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ni des mots ni des choses ; il fallut tout lui enseigner de nouveau ; ainsi, elle dut réapprendre à lire, à écrire et à compter ; peu à peu, elle se familiarisa avec les personnes et avec les objets de son entourage, qui étaient pour elle comme si elle les voyait pour la première fois ; ses progrès furent rapides.

« Après un temps assez long, plusieurs mois, elle fut, sans cause connue, atteinte d’un sommeil semblable à celui qui avait précédé sa vie nouvelle. À son réveil, elle se trouva exactement dans le même état où elle était avant son premier sommeil, mais elle n’avait aucun souvenir de tout ce qui s’était passé pendant l’intervalle ; en un mot, pendant l’état ancien, elle ignorait l’état nouveau. C’est ainsi qu’elle nommait ses deux vies, lesquelles se continuaient isolément et alternativement par le souvenir.

« Pendant plus de quatre ans, cette jeune dame a présenté à peu près périodiquement ces phénomènes. Dans un état ou dans l’autre, elle n’a pas plus de souvenance de son double caractère que deux personnes distinctes n’en ont de leurs natures respectives ; par exemple, dans les périodes d’état ancien, elle possède toutes les connaissances qu’elle a acquises dans son enfance et sa jeunesse ; dans son état nouveau, elle ne sait que ce qu’elle a appris depuis son premier sommeil. Si une personne lui est présentée dans un de ces états, elle est obligée de l’étudier et de la reconnaître dans les deux, pour en avoir la notion complète. Et il en est de même de toute chose.

« Dans son état ancien, elle a une très belle écriture, celle qu’elle a toujours eue, tandis que dans son état nouveau, son écriture est mauvaise, gauche, comme enfantine ; c’est qu’elle n’a eu ni le temps ni les moyens de la perfectionner.

« Cette succession de phénomènes a duré quatre années, et Mme X… était arrivée à se tirer très bien d’affaire, sans trop d’embarras, dans ses rapports avec sa famille. »

Il est inutile de s’attarder dans l’analyse de cette observation incomplète ; le seul avantage qu’elle présente est