Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/21

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qu’elle les sent venir, elle porte la main à la tête, se plaint d’un éblouissement, et après une durée de temps insaisissable, elle passe dans l’autre état. Elle peut ainsi dissimuler ce qu’elle nomme une infirmité. Or cette dissimulation est si complète, que dans son entourage son mari seul est au courant de son état du moment.

Les variations de caractère sont très accusées. Dans la période d’accès ou de condition seconde elle est plus fière, plus insouciante, plus préoccupée de sa toilette ; de plus elle est moins laborieuse, mais beaucoup plus sensible ; il semble que dans cet état elle porte à ceux qui l’entourent une plus vive affection.

Dans son état normal, elle est d’une tristesse qui touche au désespoir. Sa situation est en effet fort triste, car tout est oublié, affaires, circonstances importantes, connaissances faites, renseignements donnés. C’est une vaste lacune impossible à combler. Le souvenir n’existe que pour les faits qui se sont passés dans les conditions semblables. Onze fois Félida a été mère. Toujours cet acte physiologique de premier ordre, complet ou non, s’est accompli pendant l’état normal. Si on lui demande à brûle-pourpoint la date de ce jour, elle cherche et se trompe de près d’un mois.

On lui avait donné un petit chien, qui s’habitua à elle et la caressait chaque jour. Après quelque temps, survient une période de vie normale ; à son réveil dans cette vie, ce chien la caresse, elle le repousse avec horreur, elle ne le connaît pas, elle ne l’a jamais vu : c’est un chien errant entré par hasard chez elle.

Les sentiments affectifs ne sont plus de la même nature dans les deux conditions. Félida est indifférente et manifeste peu d’affection pour ceux qui l’entourent ; elle se révolte devant l’autorité naturelle qu’a son mari sur elle.

« Il dit sans cesse : Je veux, dit-elle ; cela ne me convient pas, il faut que dans mon autre état je lui aie laissé prendre cette habitude. Ce qui me désole, ajoute-t-elle, c’est qu’il m’est impossible d’avoir rien de caché pour lui, quoiqu’en