Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

se rappelle plus rien. Il n’a pas même le sentiment du temps écoulé.

« Naturellement on pense à une simulation, à un tour d’hystérique, et on emploie tous les moyens pour le mettre en contradiction avec lui-même, mais sans jamais y parvenir. Ainsi on le fait conduire sans le prévenir à l’atelier des tailleurs. On marche à côté de lui, en ayant soin de ne pas l’influencer. Quant à la direction à suivre, V… ne sait pas où il va. Arrivé à l’atelier, il a tout l’air d’ignorer l’endroit où il se trouve et il affirme qu’il y vient pour la première fois. On lui montre les vêtements dont il a fait les grosses coutures alors qu’il était paralysé ; il rit, a l’air de douter, mais enfin il se résigne à croire.

« Après un mois d’expériences, d’observations, d’épreuves de toutes sortes, on reste convaincu que V… ne se souvient de rien. Le caractère s’est aussi modifié. Ce n’est plus le même sujet, il est devenu querelleur, gourmand et il répond impoliment. Il n’aimait pas le vin et donnait le plus souvent sa ration à ses camarades, maintenant il vole la leur. Quand on lui dit qu’il a volé autrefois, mais qu’il ne devrait pas recommencer, il devient arrogant : « S’il a volé, il l’a payé puisqu’on l’a mis en prison. » On l’occupe au jardin. Un jour, il s’évade emportant des effets et soixante francs à un infirmier. Il est rattrapé à cinq lieues de Bonneval au moment où, après avoir vendu ses vêtements pour en acheter d’autres, il s’apprête à prendre le chemin de fer pour Paris. Il ne se laisse pas arrêter facilement ; il frappe et mord les gardiens envoyés à sa recherche. Ramené à l’asile, il devient furieux, il crie, se roule à terre. Il faut le mettre en cellule.

« Pendant le reste de son séjour à Bonneval, il continue à présenter quelques manifestations névrosiques, attaques convulsives, anesthésies et contractures passagères. Il sort de cet asile le 24 juin 1881 ; il paraît guéri.

« Il passe quelque temps à Chartres chez sa mère, puis on l’envoie aux environs de Mâcon, chez un grand propriétaire agricole. Il tombe malade, reste un mois à l’Hôtel-