Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/48

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toute la liberté d’allure qu’il a dans sa vie habituelle ; mais si on le place dans un autre milieu dont il ne connaît point les êtres, si on se plaît à lui créer des obstacles en lui barrant le passage, il heurte légèrement chaque chose, s’arrête au moindre contact, et, promenant les mains sur l’objet, il en cherche les contours et le tourne facilement. Il n’offre aucune résistance aux mouvements qu’on lui imprime ; soit qu’on l’arrête, soit qu’on le fasse changer de direction, soit qu’on précipite sa marche, soit qu’on la ralentisse, il se laisse diriger comme un automate et continue son mouvement dans la direction qu’on a voulu lui donner.

« Pendant toute la durée de ses crises, les fonctions instinctives et les appétits s’accomplissent comme à l’état de santé ; il mange, il boit, il fume, il s’habille, se promène le jour, se déshabille le soir, se couche aux heures où il a l’habitude de le faire. Sous quelle influence tous ces actes s’accomplissent-ils ? Sont-ils provoqués par des besoins réels, par des sensations organiques, ou bien ne sont-ils pas, eux aussi, automatiques, le simple résultat des habitudes de la veille continuées dans le sommeil ? Je serais disposé à accepter cette dernière interprétation[1], car chaque fois que j’ai vu le malade manger, il mangeait avec gloutonnerie, sans discernement, mâchant à peine les aliments, avalant tout ce qu’il avait sous la main sans arriver jamais à la satiété, témoignage certain de la satisfaction donnée au besoin. Il boit de même tout ce qu’on lui présente, vin ordinaire, vin de quinquina, eau, assa fœtida, sans témoigner d’aucune impression agréable, pénible ou indifférente.

« L’examen de la sensibilité générale, et de la sensibilité spéciale des organes des sens, accuse une perturbation profonde. La sensibilité générale de la peau, des muscles, est absolument éteinte ; on peut impunément piquer la peau des différentes parties du corps, aux mains, aux bras, aux pieds, aux jambes, à la poitrine, à la face. Le malade

  1. Nous montrerons plus loin que cette interprétation n’est probablement pas exacte, et que F… n’est point un inconscient pendant sa crise.