Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 1.djvu/121

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nel, mort en 1293, est le premier qui ait écrit, dans son catalogue De Viris seu Scriptoribus illustribus, qu’Alain eut la direction des écoles de Paris : Parisiis ecclesiasticæ scholæ præfuit. Mais ce fait, qui n’est confirmé par aucun monument du xiie siècle, reste fort douteux. D’ailleurs, Alain lui-même n’a jamais pris, dans aucun de ses ouvrages où il se nomme, la qualité de professeur de Paris, pas plus que celle d’évêque d’Auxerre. Avant sa retraite à Cîteaux, on trouve à peine, avec quelque certitude, des traces de l’existence du Docteur universel en France ou en Belgique. Dom Brial les a recherchées et a cru les découvrir en Angleterre. Nous devons résumer l’exposé de cette opinion, nouvelle en effet, mais très-vraisemblable. Les historiens anglais parlent d’un maître Alain duquel ils racontent plusieurs choses qui peuvent fort bien être attribuées à maître Alain de Lille : les dates s’accordent parfaitement. Gervais, moine de Cantorbéry, qui écrivait avant la fin du xiie siècle[1], nous apprend que maître Alain, après avoir été chanoine à Bénévent, embrassa la règle de Saint-Benoît dans l’église de Cantorbéry, et que, le 6 août 1179, il fut fait prieur du monastère, qui n’était autre que le chapitre de la cathédrale. Ce qui gêne dom Brial, c’est que, d’après Gervais, Alain était Anglais, Beneventanæ ecclesiæ canonicus sed natione Anglus ; mais, ajoute-t-il aussitôt, il est possible qu’Alain fût né à Lille de parents anglais, qui se trouvaient là accidentellement, et qu’il passa ensuite en Angleterre. Gervais, qui raconte fort au long comment Alain fut nommé, en 1186, abbé de Tewkesbury en Glocestershire (ouvr. cit., p. 1480), ne parle plus de lui après cet événement. C’est à l’abbé de Tewkesbury qu’on attribue une vie de saint-Thomas de Cantorbéry, publiée par le docteur Chrétien Lupus, dans les Epistolæ et Vita D. Thomæ, martyris et archiepiscopi Cantuariensis, et d’une manière plus complète par J.-A. Giles, dans les Alani prioris Cantuariensis postea abbatis Tewkesberiensis scripta quæ exstant. Londres, 1846, in-8o. L’abbé de Tewkesbury serait donc le même que maître Alain de Lille. Le commentaire sur les prophéties d’Ambroise Merlin, dans lequel maître Alain nous apprend qu’il est né à Lille, est évidemment un ouvrage composé par un auteur demeurant en Angleterre ou ayant eu de fréquentes relations avec ce pays. Les trois premiers livres du commentaire ne sont proprement qu’une histoire des rois d’Angleterre jusqu’au règne de Henri II, dans laquelle l’auteur s’étudie à montrer la conformité des images sous lesquelles Merlin a caché ses prédictions avec les événements consignés dans l’histoire. Ajoutons que les manuscrits des ouvrages d’Alain de Lille, qui sont indubitablement de lui et qu’on trouve dans plusieurs bibliothèques du continent, ne sont nulle part aussi nombreux qu’en Angleterre. Cela posé, nous admettons avec dom Brial qu’Alain aura composé ses premiers ouvrages, c’est-à-dire ses poésies, dans une localité de France soumise à la domination anglaise ; que sa réputation l’aura attiré en Sicile, sous le règne des enfants de Roger II ; qu’il y aura été fait chanoine de Bénévent[2] ; qu’à l’époque de l’expulsion des étrangers des Deux-Siciles, en 1169, il alla en Angleterre où il embrassa la vie religieuse[3] ; qu’il est possible qu’il ait accompagné, en 1179, non l’abbé de Cîteaux[4], mais l’archevêque de Cantorbéry au con-

  1. Gervasius monachus Dorobarnensis sive Cantuariensis, apud Twysden, Hist. Anglicanœ Scriptores, p. 1450.
  2. Ceci explique pourquoi des auteurs le font Sicilien.
  3. Gervais dit qu’en 1179, il y avait cinq ans qu’Alain était entré dans son noviciat.
  4. Parmi les fables qu’on a débitées sur maître Alain, voici celle qui regarde sa présence au concile de Latran : « L’abbé de Cîteaux, devant aller à Rome pour assister au concile convoqué par le pape, prit avec lui Alain pour lui servir de valet de pied et panser ses chevaux. Alain demanda en grâce à son abbé de le laisser entrer avec lui dans la salle du concile. On lui représenta que cela ne se pouvait pas, et qu’il serait difficile de tromper la vigilance des gardes. Il entra cependant caché sous la chape ou le manteau de l’abbé, et se plaça à ses pieds. Ce jour-là on discutait la doctrine des hérétiques du temps, et plusieurs étaient là pour rendre compte de leur croyance. La dispute s’engagea et les hérétiques semblaient avoir l’avantage. Alors Alain se levant, demanda à son abbé la permission de parler, et la demanda jusqu’à trois fois sans pouvoir l’obtenir. Mais le pape lui ayant permis de parler, Alain reprit la controverse, et réfuta si bien les hérétiques que