Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 1.djvu/250

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le prince Eugène lui ayant en effet donné les patentes d’historiographe, il demanda d’être mis en possession de cet emploi ; non-seulement il vota en sa faveur dans le sein du conseil d’État, mais encore il écrivit au marquis de Rialp : « La consulte pour M. Rousseau doit être partie mardi passé ; c’est à présent que Votre Excellence est en état de lui rendre service. Je crois que m’empressement que l’on doit avoir à attacher une personne de son mérite au service de notre auguste maître suffit pour engager Votre Excellence à lui accorder l’honneur de sa protection. Il y longtemps qu’il est de mes amis, et sa probité me le rend encore plus cher que ses talents. C’est pourquoi je mettrai sur mon compte les obligations qu’il aura à Votre Excellence[1]. » On sait que le mauvais vouloir de quelques ministres à Bruxelles et à Vienne, l’hostilité du marquis de Prié, irrité de ce que le poëte avait pris contre lui le parti du comte de Bonneval, le refroidissement du prince Eugène à son égard, furent cause que l’Empereur ne ratifia point sa nomination d’historiographe ; qu’à l’arrivée de l’archiduchesse Marie-Élisabeth aux Pays-Bas, il fut privé du logement qui lui avait été donné à la cour ; enfin que la chute de la compagnie d’Ostende, dans laquelle il avait placé toutes ses ressources, le réduisit à rien[2]. Le duc Léopold lui rendit, par ses bienfaits, cette situation moins pénible ; il le recueillit à l’hôtel d’Arenberg, et l’admit au nombre de ses pensionnaires : c’est du moins la tradition générale et l’opinion commune. Voltaire et madame du Châtelet, dans les voyages qu’ils firent à Bruxelles, virent souvent le duc d’Arenberg. C’est d’Enghien, où ils recevaient de lui l’hospitalité, que Voltaire écrivait, en 1739, à Helvétius : « Je suis actuellement dans un château où il n’y a jamais eu de livres que ceux que madame du Châtelet et moi nous avons apportés ; mais, en récompense, il y a des jardins plus beaux que ceux de Chantilly, et on y mène cette vie douce et libre qui fait l’agrément de la campagne. Le possesseur de ce beau séjour vaut mieux que beaucoup de livres. » L’année suivante, il offrit lui-même au duc, à Bruxelles, une fête qui fit quelque bruit. Les querelles de Voltaire et de Jean-Baptiste Rousseau causèrent beaucoup d’ennui au duc Léopold. En 1736, Rousseau fit imprimer, dans la Bibliothèque française (t. XXIII, 1re partie, p.138), une lettre des plus mordantes, non-seulement contre les ouvrages, mais encore contre la personne de Voltaire, à qui il reprochait d’avoir scandalisé tout le monde par sa tenue dans l’église du Sablon à Bruxelles, d’avoir composé des vers satiriques, mais surtout d’avoir parlé de lui au duc d’Arenberg dans les termes les plus indignes. Voltaire écrivit au duc, pour se plaindre de ces calomnies : « Je suis persuadé, lui dit-il, que vous châtierez l’insolence d’un domestique qui compromet son maître par un mensonge dont son maître peut si aisément le convaincre[3]. » Le duc lui répondit : « Je suis très-indigné, monsieur, d’apprendre que mon nom est cité dans la Bibliothèque sur un article qui vous regarde. On me fait parler très-mal à propos et très-faussement, etc.[4]. » Si nous en croyons une lettre de Voltaire à Thiriot[5], le duc aurait « chassé » Rousseau à la suite de cette affaire ; nous ne sommes en mesure de confirmer ni de démentir cette assertion[6]. Avant la guerre pour la succession

  1. Lettre du 15 juin 1725 (Archives du royaume.)
  2. Voyez, dans les Βulletins de l’Académie royale de Belgique, 2e série, t. II, p. 220, notre Notice sur Jean-Baptiste Rousseau, historiographe des Pays-Bas autrichiens.
  3. Lettre du 30 août 1736, Œuvres complètes, édit. Wodon, t. CII, p. 71.
  4. Lettre datée du 8 septembre 1736, à Enghien, dans la Bibliothèque française, t. XXIV, p. 157.
  5. Du 18 novembre 1736.
  6. Il semble pourtant que le passage suivant d’une lettre de Racine le fils, du 4 janvier 1749, se rapporte à ce fait : « Rousseau eut une disgrâce véritable, à laquelle il fut plus sensible qu’à la perle de ses actions sur la compagnie d’Ostende, et depuis cette disgrâce, le séjour de Bruxelles lui devint insupportable. Le seigneur qui changea à son égard lui envoya, quelques mois après, le quartier d’une pension qu’il avoit coutume de lui payer. Rousseau refusa cet argent, en disant à celui qui le lui apportoit : Je me flattois de le recevoir à titre d’ami : puisque j’ai eu le malheur de perdre son amitié, je ne dois plus avoir de part à ses bienfaits. » (Lettres de Rousseau sur différents sujets de littérature. Genève, 1750, in-18, t. I, p. x.)
         Dans le même volume qui vient d’être cité (p. 303), on lit que, lors de sa dernière maladie, « on eut de grands soins de lui, à la recommandation de M. le duc d’Arenberg, de M. de Lannoy et de M. le prince de la Tour et Taxis, qui envoyèrent leurs domestiques avec des flambeaux à son convoi. »