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des biens terrestres, l’amour de la prière, une tendre charité envers tous les hommes, un zèle ardent à servir les malheureux, tels furent les traits qui le caractérisèrent dans les diverses positions où il se trouva.

À la diète d’Attigny de l’an 822, l’Empereur combla Adélard des marques publiques de son affection. L’année suivante, l’abbé de Corbie parut encore avec distinction à l’assemblée des états, qui se tint à Compiègne ; il fut l’âme de cette réunion, quoique, selon Agobard, qui s’y trouva et qui, à cette occasion, parle avec éloge du zèle d’Adélard, il n’ait pas été écouté dans tout ce qu’il proposa pour le bien de l’Église. Se croyant déplacé à la cour, il obtint enfin, à force d’instances, la permission de retourner à Corbie. Il ne fut pas plus tôt rentré dans son couvent, qu’il y reprit les pratiques de la vie monastique avec une nouvelle ferveur. Souvent on le voyait, malgré sa dignité d’abbé, s’assujettir aux plus humbles fonctions de la communauté. Quoique avancé en âge, il écoutait avec docilité les avis du dernier de ses moines. Lorsque quelqu’un d’entre eux l’exhortait à modérer ses austérités, il répondait en parlant de lui-même : « J’aurai soin de votre serviteur, afin qu’il puisse vous être utile plus longtemps. » Il ne négligeait rien pour porter ses religieux à la perfection ; chaque jour il leur faisait, au chapitre, les discours les plus pathétiques, et il ne se passait aucune semaine sans qu’il leur parlât à chacun en particulier. Mais, comme les instructions servent peu si elles ne sont pas soutenues par l’exemple, il pratiquait d’abord lui-même ce qu’il enseignait aux autres. Sa sollicitude s’étendait aussi à tous ceux qui habitaient dans le voisinage du monastère. Les pauvres étaient sûrs de trouver en lui un père compatissant ; il leur distribuait des aumônes si abondantes que les revenus de l’abbaye pouvaient à peine y suffire, et que ceux qui ne comptaient pas autant que lui sur les bontés de la Providence l’accusaient de prodigalité.

Il avait conçu depuis longtemps le projet de fonder, en Saxe, un nouveau monastère, où l’on formerait des ouvriers évangéliques pour travailler à la conversion et à l’instruction des peuples du nord de l’Allemagne. Son disciple de prédilection, nommé aussi Adélard, qu’il avait choisi pour le remplacer autrefois pendant ses absences, fut chargé de jeter les fondements de la Nouvelle-Corbie, dont l’établissement fut achevé en 823[1]. Notre saint y alla deux fois et y demeura assez longtemps pour donner une consistance solide à une œuvre que l’amour de la religion et l’intérêt de la civilisation lui avaient fait entreprendre. Adélard, alliant à la sainte ferveur du moine l’habileté d’un homme d’État et d’un administrateur éminent, s’était proposé, dans le nouvel établissement, un double but : l’un avait pour objet le progrès de la foi et l’autre le progrès du bien-être matériel dans une contrée dont le sol était riche et fécond, mais qui restait sans culture. À côté du cloître, il plaça des colonies agricoles, et des ouvriers, originaires, à ce qu’il paraît, des environs d’Audenarde, aidèrent les moines à défricher les terres qui entouraient le couvent. C’est à ce titre que la Nouvelle-Corbie, ce foyer de la civilisation chrétienne au ixe siècle, doit être considérée comme le premier type des colonies flamandes qui se multiplièrent pendant le moyen âge dans le nord de l’Allemagne.

Rien n’était plus exemplaire que la ferveur avec laquelle on vivait dans les deux monastères, soumis à la direction

  1. La Nouvelle-Corbie, Corbeia Nova, connue sous le nom de Corvei ou Corwey, devint, dans la suite, la principale abbaye impériale du cercle de Westphalie. Son domaine s’étendait le long du Weser, au levant de Brunswick, et l’évêché de Paderborn le bornait au couchant. Il consistait principalement dans le bourg de Corvei, où était située l’abbaye, à la droite du Weser, et dans la petite ville de Hœxter. L’abbé, qui dépendait immédiatement du saint siége, était prince de l’Empire et avait, à la diète, la dernière voix parmi les princes-abbés. Ce monastère eut une école célèbre ; il a produit un grand nombre d’hommes illustres qui portèrent le flambeau de la civilisation chrétienne dans le nord de l’Allemagne. Sa bibliothèque était riche en anciens manuscrits, et c’est là qu’on trouva, sous Léon X, un des plus anciens manuscrits de Tacite, qui a fourni les premiers livres des Annales et qui se trouve aujourd’hui à Florence.