Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/183

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*BERTRAND DE RAYS naquit en Champagne ou en Bourgogne. Avant de devenir le héros d’une des plus étranges et des plus étonnantes aventures que l’histoire ait enregistrées, il paraît n’avoir été qu’un simple ménestrel ; mais en ce temps les ménestrels étaient en grand honneur. On leur doit non-seulement les beaux vers qui exhortent les chrétiens aux guerres saintes, mais parfois aussi des exemples d’un noble dévouement, car l’un d’eux a délivré Richard Cœur de Lion. Aussi chaque seigneur se croit-il tenu à avoir près de lui quelque ménestrel « ki bien die » selon l’expression de Baudouin de Condé, et comme l’ajoute le même poëte :

Il ne peut sans iaus une eure.

Bertrand avait été serf ou serviteur du sire de Chappes : il était connu sous le nom de Bertrand de Rays ou mieux de Ray[1]. Le sire de Chappes fut l’un des plus illustres croisés de Champagne, comme nous l’apprend Villehardouin, et l’une de ses sœurs épousa un chevalier de Bourgogne, Othon de Ray, premier seigneur d’Athènes. Bertrand, né dans les domaines du sire de Chappes ou du sire de Ray, attaché à leur service comme ménestrel, les suivit vraisemblablement sur les rives du Bosphore, et s’il n’eut pas l’honneur d’échanger quelques dits, quelques cançons avec l’empereur Baudouin qui se plaisait parfois à lutter dans l’art de bien dire avec les ménestrels, il put du moins le voir de près sous les lambris dorés du palais de Bucoléon, entouré de tout l’éclat de la souveraine grandeur et devenu, par le droit de la conquête, le successeur de Constantin. Ces souvenirs devaient rester présents à sa mémoire.

On sait combien fut courte et malheureuse la carrière du fondateur du nouvel empire d’Orient. Entraîné captif chez les Bulgares, il ne reparut plus, et Henri de Flandre annonçant son avénement en 1206, déclarait que les princes, les barons et tout le peuple franc habitant l’empire de Constantinople, ne pouvaient plus conserver de doute sur la mort de son frère.

De 1206 à 1225, la Flandre et le Hainaut subirent, au milieu de désastres sans cesse renouvelés, la domination étrangère. Il n’était pas donné à Fernand de Portugal de rallier à Bouvines les communes de nos villes qu’il s’était rendues hostiles. Bouchard d’Avesnes avait seul essayé de s’appuyer sur le sentiment national, vivement froissé et impatient de se relever ; il avait fait appel à l’alliance de l’Angleterre, mais tous ses efforts avaient échoué devant la puissance de Philippe-Auguste. Lorsque Louis VIII monta sur le trône (1223), la Flandre et le Hainaut respirèrent ; il était permis d’espérer que Louis VIII serait moins redoutable que son père, et pour que la lutte éclatât, il ne manquait qu’un chef investi d’une autorité propre à inspirer à la fois le courage et la confiance. Le parti encore nombreux et toujours actif de Bouchard d’Avesnes comprit-il cette situation ? Il y a lieu de le croire.

De vagues rumeurs, propagées avec soin et d’autant plus aisément accueillies par le peuple qu’elles semblaient plus merveilleuses, se répandirent dans les villes et dans les campagnes. On répétait que des chevaliers croisés s’étaient réunis à Valenciennes, cachés sous la bure des Frères mineurs, et qu’ils avaient avoué leur résolution de faire succéder à la gloire des armes la pénitence et la retraite. On ajoutait que l’empereur Baudouin n’était pas mort dans les prisons des Bulgares, qu’il avait voulu aussi se dérober aux vanités du monde, mais qu’on ne tarderait pas à le voir reparaître dans tout l’éclat de sa dignité et de sa grandeur. Puis un jour vint où l’on raconta qu’un solitaire, dont les traits rappelaient exactement ceux de l’empereur de Constantinople, s’était construit avec des rameaux de genêt un humble abri au milieu des bois de Glançon, entre Valenciennes et Tournai. Les bois de Glançon appartenaient à l’un des principaux partisans de Bouchard d’Avesnes, à Everard de-Mortagne, qui accourut avec ses amis et n’hésita pas à déclarer que ce vieillard était bien l’empereur Baudouin. Bouchard d’Avesnes,

  1. Rusticus lecator nomine Bertrandus de Rais. Chr. S. Med. Suession. D’autres auteurs l’appellent Bertrand li Clos et disent que son père se nommait Pierre Cordièle.