Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effet, dans un exposé des travaux qui avaient été effectués à Brou à la date de 1522, que ce fut Van Bodeghem qui jeta les fondements de toute l’église, du clocher, du grand portail ; qu’il bâtit le chœur, les chapelles, le transept ou croisée, avec ses deux portails ; que ce fut par ses soins et sous sa direction que les ogives de la croisée et de la nef furent exécutées, le clocher élevé jusqu’à la hauteur du faîtage, les sépultures construites, le retable de la chapelle de la Vierge sculpté, nombre de statues entreprises et achevées. Pendant les années suivantes, l’entreprise continua à être poussée avec énergie et fut enfin achevée.

Si les splendides tombeaux de Marguerite d’Autriche et de son époux, le duc Philibert de Savoie, avec les ornements qui les surchargent, sont dus à l’habile ciseau de Conrad Meyt, ce fut Van Bodeghem qui en conçut le dessin, et lorsque Conrad se chargea de ce travail et accepta les conditions qu’on lui offrit, ce marché fut conclu en présence, non-seulement de la duchesse et de ses principaux conseillers, mais encore de « maître Louis van Boghen, commis par ma dite dame à la conduicte de l’édifice de Brou. » (14 avril 1526.) Van Bodeghem et Meyt ne vécurent pas en bonne intelligence, et plus d’une fois il fallut intervenir entre ces deux artistes, également fiers de leur talent, également susceptibles.

Van Bodeghem s’occupa également des splendides vitraux qui garnissent les vastes fenêtres de la basilique. La somme de soixante-trois livres quatorze sous de gros lui fut payée, en l’année 1526, pour quatre et grandes « belles verrières, » dont trois furent placées « au croison du cœur » et une « dans la chapelle d’icelle lez ledit cœur. »

C’est donc à juste titre qu’on revendique pour Van Bodeghem l’honneur d’avoir élevé ce temple, l’une des merveilles de la France orientale. C’est avec un orgueil légitime, quoique peut-être excessif, qu’il fit sculpter sur la façade les quatre vers suivants, dont le sens est aussi obscure qu’empathique :

Concepit mater, Philibertus parturiebat,
Mox uxor peperit sed genitore carens,
Adfuit obstetrix Lodovicus, quo duce, fœtus
Æditus œternum conspiciendus erit.

C’est-à-dire : « Une mère l’a conçu (il s’agit de l’édifice) ; Philibert l’enfanta. Mis au monde par une épouse, il lui manquait un père, lorsque Louis se présenta comme accoucheur ; par ses soins, le fœtus, entré dans la vie, put contempler l’éternité. »

Du Saix, qui a écrit l’oraison funèbre de Marguerite et qui fut probablement, l’auteur de cette pédantesque inscription, qualifie Van Bodeghem de « très-savant géomètre et architecte » (præstantissimo illi geometræ nec inferiori architecto Ludovico). Dans un poëme spécialement consacré au temple de Brou, il lui prodigue des louanges exagérées :

Sur tous ceulx Loys maistre sera.

Vitruvius, le maistre charpentier,
N’eust à cestuy donné escharpe entier
N’y attouche, mais perdu contenance,
Et d’ung Flamand eust suivy l’ordonnance.
Archimédès, le Syracusien,
Pausanias, le Grec Césarien,
Qui l’ont vaincqu en la géografie
Et desquelz tant Grèce se glorifie,
Eussent notez ses lignes et pourtraictz.

En compulsant les documents se rattachant à la construction de l’église de Brou, on rencontre le nom de Van Bodeghem, accompagné des qualifications les plus glorieuses ; ici c’est : « noble maître Louis de Boghen, architecte de tout l’édifice de Brou » (nobilis magister Ludovicus van Boghen, architector totius ædificii de Brou) ; là : « noble maître Louis, maître et directeur principal des travaux de Brou » (nobilis magister Ludovicus, magister et rector præcipuus operum de Brou). Enfin la renommée populaire, devançant une trop tardive réhabilitation, associa le nom de l’édifice à celui de l’architecte, qu’elle baptisa Louis de Brou.

La mort de Marguerite d’Autriche fut un coup fatal pour Van Bodeghem ; cette princesse l’aurait sans doute largement récompensé si elle avait vécu. L’église de Brou ne fut consacrée que le 22 mars 1532, deux ans après que Marguerite avait cessé de vivre. A peine terminée,