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instance, son rappel. Joseph II le lui accorda en 1783, et choisit, pour le remplacer, le comte de Belgiojoso[1]. Le nouveau ministre plénipotentiaire arriva à Bruxelles au mois de juin ; il entra immédiatement dans l’exercice de ses fonctions.

Les circonstances étaient difficiles pour les dépositaires du pouvoir dans les provinces belgiques. Joseph II, qu’animaient incontestablement des intentions droites, mais qui manquait de sens pratique et se laissait trop souvent entraîner par la légèreté et l’impétuosité de son caractère, avait imaginé de mettre à exécution, de gré ou de force, dans un pays attaché plus qu’aucun autre à ses priviléges, à ses lois, à ses coutumes, tout un système de réformes et de changements. Déjà il y avait introduit la tolérance civile (13 octobre 1781), affranchi les ordres monastiques de toute dépendance d’une autorité étrangère (28 novembre 1781), défendu de s’adresser à la cour de Rome pour des dispenses (5 décembre 1781), supprimé un grand nombre de couvents (17 mars 1783). À ces mesures succédèrent un édit défendant de placéter les provisions délivrées par la cour de Rome en matière de bénéfices ecclésiastiques (24 novembre 1783) ; un autre édit qui faisait du mariage un contrat civil (26 septembre 1784) ; la suppression des kermesses si chères au peuple, l’abolition des confréries, la réglementation des processions et des pèlerinages (11 février, 8 avril, 7 mai 1786) ; l’établissement du séminaire général, qui entraînait la fermeture des séminaires épiscopaux (16 octobre 1786) ; enfin les deux diplômes du 1er janvier 1787, dont l’un substituait aux trois conseils collatéraux institués par Charles-Quint un conseil unique, dit du gouvernement général, dont la présidence était attribuée au ministre plénipotentiaire, divisait les provinces en neuf cercles placés chacun sous l’administration d’un intendant, faisait cesser l’existence des députations permanentes des états, etc., et l’autre supprimait toutes les cours de justice souveraines et provinciales, ainsi que les juridictions municipales et seigneuriales, au lieu desquelles étaient établis soixante-quatre tribunaux de première instance, deux cours d’appel et un conseil souverain siégeant à Bruxelles. Pour mieux pénétrer de ses vues le comte de Belgiojoso, l’empereur l’appela à Vienne au commencement de 1787.

Les premières réformes avaient excité des réclamations nombreuses, surtout parce qu’elles avaient été faites sans le concours des états, représentants naturels et légaux du pays ; mais, dans le nombre, il y en avait qui étaient loin d’être mal vues d’une partie de la nation : les diplômes du 1er janvier 1787 donnèrent lieu à l’explosion d’un mécontentement universel. On n’ignorait pas que les gouverneurs généraux ne les avaient promulgués qu’avec déplaisir ; tout le monde s’en prit au ministre plénipotentiaire, comme si c’était lui qui en fût l’auteur. Belgiojoso avait eu le tort d’apporter, dans ses relations avec les divers ordres de l’État, une morgue et un ton de dédain qui lui avaient aliéné les esprits : l’impopularité dont il était déjà l’objet eut bientôt le caractère d’une haine déclarée[2] ; le peuple alla jusqu’à lui attribuer la cherté des denrées alimentaires qui se fit sentir dans l’hiver de 1787, s’imaginant que la liberté accordée à l’exportation du bétail et des céréales en était la cause. Des placards furent affichés où on le signalait à la vindicte publique, où l’on provoquait la population à se porter à des voies de fait contre sa personne[3] ; on osa même lui

  1. Lettres patentes données à Carlstadt, le 9 mai 1783. Belgiojoso y est qualifié « chevalier de Malte, conseiller d’État intime actuel, chambellan de l’empereur, lieutenant général des armées impériales, et colonel propriélaire d’un régiment d’infanterie de son nom. »
  2. « L’aliénation qu’il a eu le malheur de s’attirer déjà avant qu’il ait été question des nouvelles réformes, pour le mépris surtout qu’on croyait observee en lui à l’égard de cette nation, a tourné à cette heure en une aversion et une haine qui passent toute imagination… Nous le soutenons cependant, etc. » (Lettre du duc Albert de Saxe-Teschen au prince de Kaunitz, du 18 mai 1787.)
  3. Une de ces affiches portait :

    Peuple, ne crains pas la cavalerie,
    pour attaquer le ministre allant à la comédie.

    Une autre :

    Peuple infortuné,

    Prenez les armes pour vos députés ;
    Tranchez la tête à votre chancelier

    Et à votre ministre dénaturé.

    Une autre encore, en flamand, était ainsi conçue :

    Ieder een is versocht alle daegen ’s avonts sonder vreese op de Merckt te komen, om te gaen het huys van den minister van vier kanten met hem in de locht te doen springen.

         C’est-à-dire en français : « Un chacun est requis de se rendre tous les soirs, sans crainte sur la Grand’Place, pour aller de là à la maison du ministre et la faire sauter en l’air avec lui. »