Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/316

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les hérésies de l’Allemagne et les maux que le Turc faisait à la chrétienté. Indigné de tant d’audace, il demande au pape de réunir, le 17, au Vatican, le collége des cardinaux et tous les ambassadeurs qui se trouvent à sa cour; il se rend au milieu de cette assemblée. Là il prononce un discours où, après avoir retrace tout ce qui, depuis son avènement à la couronne, s’est passé entre lui et le roi de France, le prix qu’il a toujours attaché à l’amitié de ce monarque, le désir qui n’a cessé de l’animer de vivre en paix avec lui, et qui lui a fait, dit-il, « comporter beaucoup de choses dont il aurait eu très-grande occasion de se ressentir, » il déclare qu’il est encore dans ces sentiments : non pas qu’il redoute les forces du roi de France, car il a bien le moyen de lui résister, mais pour épargner à la chrétienté de merveilleux dommages. Si cependant, ajoute-t-il, par le fait du roi, la paix ne peut être conservée, en ce cas, « pour éviter les inconvénients et maux qui surcèderont de rentrer en guerre, tant à ladite chrétienté qu’aux sujets d’un côté et d’autre, serons content que ladite guerre s’achève de notre personne à la sienne, et lui offrons d’ainsi le faire, avec armes et sûretés égales, soit en mer ou en terre, lesquelles seront assez faciles à trouver...... Et entendons que ledit seigneur roi nous réponde, en dedans vingt jours, soit du rétablissement de paix ou, au défaut de ce, dudit combat[1]. »

Charles avait mis une telle animation dans ces paroles que le pape, se levant, lui dit : « Mon fils, que Votre Majesté se calme, et que la juste indignation qu’elle ressent le cède à sa clémence naturelle! A Dieu ne plaise que jamais un pareil combat se fasse, et que votre personne, qui importe tant au monde, s’expose à ce danger[2]! » L’empereur s’était exprimé en espagnol, et les ambassadeurs français ne comprenaient pas cette langue; ils demandèrent des explications; ils voulaient savoir surtout si, par les propos qu’il avait tenus, l’empereur avait entendu défier le roi leur maître à un combat particulier et tenir la guerre déclarée entre eux : Charles leur dit, le lendemain, en présence du pape et de plusieurs grands personnages, que son intention n’avait été de médire du roi en façon quelconque, ni de le défier, ni de lui déclarer la guerre, mais qu’au contraire elle était d’éviter celle-ci autant que possible; que la paix était l’objet de tous ses vœux; que si le roi voulait y entendre, il était prêt à accepter la médiation du souverain pontife; enfin que, s’il avait parlé d’un combat singulier, c’était pour le cas que la guerre ne pût être conjurée[3]. François Ier, cette fois encore, se montra peu jaloux de se mesurer avec son rival. Il répondit que leurs épées étaient trop courtes pour qu’ils pussent se combattre de si loin; que, s’ils rentraient en guerre, l’occasion s’offrirait sans doute à eux de se rapprocher; qu’alors il dépendrait de l’empereur de l’appeler au combat, et que s’il refusait de satisfaire à son honneur, il acceptait d’avance la condamnation que prononceraient contre lui les gens de bien[4]. A quoi l’empereur répliqua, avec ironie, que c’était probablement parce que « leurs épées étaient trop courtes pour frapper de si loin », que, lui étant en Espagne, le roi lui avait offert, de Paris, le combat de sa personne à la sienne[5].

  1. Ces propres paroles de l’empereur sont consignées dans une lettre qu’il écrivit, les 17 et 18 avril, au vicomte de Lombeck, son ambassadeur en France (Lanz, t. II, p. 223.)
  2. Sandoval, liv. XXIII, § V.
  3. Lettre des 17 et 18 avril ci-dessus citée.
  4. Lettre de François au pape, écrite du prieuré de Pommiers en Forez, le 11 mai 1536. (Recueil d’aucunes lectres et escriptures par lesquelles se comprend la vérité des choses passées entre la majesté de l’empereur Charles cinquiesme et François, roy de France, premier de ce nom, etc., livret de 71 ff. non chiffrés, imprimé à Anvers, le 28 juin 1536, par la veuve de Martin Lempereur.)
  5. « Et de dire que nos épées sont trop courtes pour frapper de sy loing, il est vray : et ne sçay sy ce a esté la cause pour laquelle cy-devant il me offrit, dois Paris, lorsque j’estoye en Espaigne, le combat de sa personne à la myenne, avec parolles fort insolentes, et m’en remects à ce que s’en est ensuy. Mais, s’il veult prendre regard pour quoy je luy avoye offert ledict combat, il peult bien entendre que, oultre le point d’honneur, il y alloit dadvantaige d’éviter les inconvéniens, maulx et ruynes qui succèdent de guerre; et en regardant bien aux moyens que joinctement je mis en avant, la chose estoit assez aysée d’approcher nosdicts espées et ledict combat bien faisable...... » (Lettre de Charles-Quint à Paul III, écrite du bourg de Saint-Denis près de Plaisance, le 19 mai 1536, dans le Recueil d’aucunes lectres, etc.)