Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/322

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trice mit au monde, avant terme, un enfant qui mourut aussitôt après[1]. Sa grossesse avait été accompagnée de beaucoup d’incommodités, et son accouchement très-laborieux : les médecins toutefois ne concevaient aucune inquiétude. Mais, le troisième jour de sa délivrance, la fièvre lui prit; elle se compliqua d’un catarrhe, et le 1er mai Isabelle expira[2] : elle n’avait que trente-huit ans, un an de moins que son époux. La douleur qu’une perte aussi cruelle et aussi imprévue causa à Charles-Quint ne se pourrait exprimer[3] : il aimait tendrement l’impératrice; il avait trouvé en elle une compagne digne de lui; jamais leur union n’avait été troublée par le plus léger nuage. La nation tout entière s’associa au deuil de son souverain : Isabelle s’était fait également aimer et des grands et du peuple; durant les absences de l’empereur, elle avait gouverné l’Espagne avec autant de sagesse que de sollicitude. Charles se retira au monastère de la Sisla, de l’ordre de Saint-Jérôme, près de Tolède, où il passa deux mois. Dans les cours de l’Europe on supposa gratuitement qu’il serait disposé à se remarier : les seigneurs de Brissac et de Lordres, qui vinrent lui présenter les compliments de condoléances de François Ier et de la reine Éléonore, et le cardinal Farnèse, que Paul III chargea de la même mission, mirent en avant, auprès de ses ministres, une alliance avec la princesse Marguerite, fille du roi. Il refusa de prêter l’oreille à cette proposition[4]. Toute sa vie il conserva dans son cœur la mémoire de l’impératrice. Chaque année, en quelque lieu qu’il se trouvât, il faisait célébrer un service pour elle le jour anniversaire de sa mort, et ne manquait jamais d’y assister.

Tandis que ces choses se passaient en Espagne, aux Pays-Bas le gouvernement de l’empereur était dans de grands embarras. Lorsque, au mois de mars 1537, François Ier avait envahi l’Artois, la reine Marie avait assemblé les états généraux, pour leur demander une aide de douze cent mille florins destinée à la levée et à l’entretien, pendant six mois, d’une armee de trente mille hommes. Toutes les provinces avaient voté cette aide avec un empressement patriotique; seulement, en Flandre, le vote n’avait pas été unanime de la part des quatre membres qui formaient la représentation provinciale : Bruges, Ypres et le Franc avaient consenti; mais Gand avait répondu qu’il était prêt à fournir un secours en hommes, si l’empereur en avait absolument besoin, « selon l’ancien transport et ancienne coutume de faire, » et autrement point, « considéré le mauvais temps, petite négociation et gagnage et les précédentes aides encore courantes. » La reine, ayant reçu cette réponse, avait ordonné que l’aide fut levée au quartier de Gand[5] comme dans les autres, par le motif qu’elle avait été réclamée et accordée pour la défense du pays; que, « selon le droit écrit et la raison naturelle, » l’accord de trois membres devait être réputé pour accord général et universel; qu’il obligeait toute la province; qu’il en avait été usé ainsi de tout temps, et notamment en 1525 et 1535.

Les échevins et deux doyens de Gand se plaignirent; ils invoquèrent leurs pri-

  1. « Madame ma bonne seur, ceste sera pour vous advertir comme, aujourduy environ le midi, l’impératrice s’est accouchée d’ung filz, lequel est trespassé..... » (Lettre de Charles-Quint à la reine Marie, du 21 avril 1539, dans les Analectes historiques, t. IV, p. 429.)
        C’est donc à tort que Sandoval e, d’après lui, M. Lafuente, font naître cet enfant le jour de la mort de l’impératrice.
  2. « Madame ma bonne seur, ceste sera pour vous advertir du trespas de l’impératrice, laquelle, lorsque je la pensoye, avec l’advis des médecins, estre hors de dangier, comme vous escripviz dois son accouchement, tumba, le tier jour d’icelluy, en fievre, qui l’a tellement travaillée, avec un caterre tumbant sur sa poitrine, que hier, xie jour de sondict accouchement, elle a rendu l’esperit... » (Lettre de Charles à la reine Marie, du 2 mai, dans les Analectes historiques, t. IV, p. 430.)
  3. « Sa Majesté Impériale le sent incrédiblement, » écrivait Granvelle à la reine Marie le 3 mai.
  4. Lettres de Granvelle à la reine Marie, des 4 et 27 juin. (Archives impériales à Vienne.)
        Lorsque Charles-Quint traversa la France, de nouvelles tentatives furent faites auprès de lui, pour l’engager ùà épouser la fille du roi : elles n’eurent pas plus de succès que les précédentes (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p. 569.)
  5. Le quartier de Gand était le plus considérable des quatre quartiers de la Flandre; il comprenait les châtellenies du Vieux-Bourg, d’Audenarde, de Termonde, d’Alost, de Courtrai, du pays de Waes et les Quatre-Métiers, c’est-à-dire beaucoup plus que ne contient aujourd’hui la province de la Flandre orientale.