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tre la puissance du roi de France depuis 1297, sur le champ de bataille de Furnes, jusqu’en 1302, sur celui de Courtrai.

Philippe le Bel, prince astucieux et sans foi, n’avait pas oublié l’accueil glacial qu’il avait reçu à Bruges. Sur les instances de la reine, non moins irritée que lui contre ces fiers Flamands, le roi nomma Jacques de Chatillon, comte de Saint-Pol et oncle de la reine Jeanne de Navarre, gouverneur de la Flandre. Ce seigneur, d’une nullité absolue, aigrit tellement les Flamands par sa dureté, froissa si fort leur amour-propre par sa hauteur et ses dédains, qu’ils se révoltèrent pour conserver leur liberté et leurs richesses dont Chatillon voulait les dépouiller. « De vagues rumeurs, dit l’auteur de l’Histoire de Flandre, attribuaient à Jacques de Chatillon le projet d’anéantir toutes les libertés des Brugeois. La commune, inquiète et agitée, avait suspendu tous ses travaux. Dès qu’elle entendit retentir la cloche qui appelait les Français, elle prit les armes, s’élança sur les magistrats qui se préparaient à la livrer à ses ennemis, et les força à s’enfermer dans le Bourg. Là, ils résistèrent quelque temps; enfin la commune furieuse pénétra dans leur asile, massacra quelques-uns des traîtres et conduisit les autres dans la prison, d’où ses mains victorieuses avaient naguère retiré Pierre De Coning. »

Ce premier succès encouragea les défenseurs de la commune. Une nouvelle lutte plus acharnée et plus sanglante encore était sur le point d’éclater, lorsque des citoyens jouissant de la considération publique s’interposèrent en offrant leur médiation entre les deux partis; elle fut acceptée sous la condition que les insurgés quitteraient la ville. Aussitôt Pierre De Coninck se dirigea, suivi de ses adhérents, vers Ardenbourg. C’est à ce moment que Jean Breydel apparaît. Il s’était dirigé vers Damme et Sluys à la tête des bouchers et d’artisans appartenant à tous les métiers, au nombre de plus de cinq mille hommes. Ayant été informé que Chatillon avait envoyé à Male six chariots chargés de vins pour ses chevaliers et de cordes pour pendre les bourgeois récalcitrants, Breydel alla dévaster ce domaine, après avoir mis à mort tous ceux qui le défendaient. Un historien flamand, faisant allusion au nom de Breydel qui signifie bride, dit que Jean Breydel était vraiment le frein assez puissant pour arrêter la cupidité des Français. Écoutons le récit qu’un chroniqueur fait de cette expédition dans la Rymkronyk van Vlaenderen.

Hier naer gesciede curtelike,
Dat hute Brugge verwandelen ginc
Eenen vleeschouwer in ware dinc,
Die Jan Breidel was ghenant.
Met gheselsceppe, sy hu bekant,
Te Malen daer men vercochte wyn,
Int casteel, verstaet den fyn :
Ende Jan vornoemt wilde hebben wyn
Van den cnape, verstaet den fyn.
De cnape Janne qualike toe sprac,
Twelke Jan voernoemt haestelyke wrac :
Want hi stouch den cnape doot.
Ende Gobeert met haesten
Die casteleyn, wapen hem scier,
Ende quam neder als die fiere,
Om te wrekene harde saen :
Daer soc wart hi weder staen
Van Janne ende sine gesellen mede.
Dit gheruchte quam int stede
Van Brugghen, dat men te Male vacht.

Cependant Jacques de Chatillon arriva le 18 mai 1302 à Bruges, non avec une faible escorte et sans armes comme il l’avait promis, mais accompagné de dix-sept cents chevaliers bardés de fer et d’un grand nombre de fantassins, sergents d’armes et archers. « A cet aspect, dit l’auteur de l’Histoire de Flandre, les bourgeois se souvinrent que non-seulement Jacques de Chatillon n’avait cessé de persécuter les familles des chevaliers prisonniers en France, ou des bourgeois morts dans des luttes contre Philippe le Bel, mais que ses efforts avaient tendu constamment à réduire toute la Flandre à la servitude et à détruire ses libertés. Leur inquiétude s’accrut lorsqu’il refusa d’écouter leurs représentations : il déclara toutefois qu’il ne voulait châtier que ceux qui avaient pris part au sac du château de Male; mais son regard était terrible, et l’on racontait que déjà on l’avait entendu s’écrier que la plupart des Brugeois ne tarderaient pas à être attachés au gibet. Ceci se passa vers l’heure des Vêpres.