Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/444

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l’oreille aux propositions des agents impériaux, et un traité secret fut conclu entre lui et le duc d’Albe par lequel il s’engageait à joindre toutes ses forces à l’armée impériale, à condition que l’empereur le reçût en sa grâce, lui promît l’oubli du passé et confirmât les arrangements qu’il avait faits avec les évêques de Bamberg et de Würzbourg, arrangements dont l’empereur, le mois précédent, avait décrété l’annulation. Charles ratifia ce traité le 24 octobre[1]. Si secrète qu’eût été tenue la négociation, elle avait excité les soupçons des Français, et le duc d’Aumale, frère du duc de Guise, avec un nombreux corps de cavalerie, surveillait les mouvements d’Albert, prêt à tomber sur lui à la première opportunité. Le 4 novembre, l’infanterie du marquis, à laquelle il était dû deux mois de solde, s’étant mutinée, d’Aumale voulut profiter de la circonstance; mais Albert chargea si vigoureusement les Français qu’il les mit en déroute, leur tua deux à trois cents hommes et leur fit un nombre égal de prisonniers, parmi lesquels était d’Aumale lui-même. Huit jours après, il venait renforcer le camp devant Metz de quinze mille hommes d’infanterie, deux mille chevaux, quarante pièces d’artillerie et deux mille quintaux de poudre[2].

Un mois s’était écoulé depuis le commencement des opérations du siége, sans qu’elles eussent eu de résultat marquant. Charles-Quint n’était point à la tête de son armée; une seconde attaque de goutte l’avait obligé d’aller s’établir à Thionville. Le 18 novembre, se trouvant en état de supporter les fatigues du camp, il monte à cheval afin de s’y rendre; il arrive de bonne heure, le 20, au quartier général du duc d’Albe, où il est salué d’acclamations enthousiastes, qu’accompagne une décharge générale de l’artillerie contre la ville. L’inspection des tranchées et des batteries lui donne lieu de reconnaître que certaines dispositions faites par ses généraux n’ont pas été bien entendues; il les rectifie et les complète. La tranchée est ouverte sur plusieurs points qui avaient été négligés; de nouvelles batteries sont dressées; une canonnade terrible est dirigée contre les ouvrages de la place; elle fait brèche en différents endroits; la présence de l’empereur inspirait à ses troupes une ardeur extrême. Mais Charles avait affaire à un ennemi qui ne lui cédait ni en activité ni en énergie : derrière les murailles que démolissait l’artillerie impériale il s’en élevait d’autres comme par enchantement. Bientôt des pluies arrivent qui détrempent le sol; la gelée, la neige leur succèdent; le froid devient insupportable aux soldats, qui manquent de chauffage. Dans ces circonstances, Charles assemble un conseil qu’il appelle à délibérer sur la question de savoir si le siége sera abandonné ou si on le continuera : Granvelle et le marquis de Marignan opinent pour que l’armée se retire; le duc d’Albe émet un avis opposé, et c’est malheureusement à celui-là que se range l’empereur[3]. De nouveaux efforts sont faits pour abattre les défenses de la place; ils demeurent infructueux comme les précédents. La saison était de plus en plus rigoureuse; l’armée se fondait à vue d’œil, vaincue par le froid, par les maladies, par les désertions. Charles, reconnaissant enfin son erreur, prend la résolution de renoncer à une entreprise qui lui a coûté des milliers d’hommes[4];

  1. Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. III, p. 51. — De Thou, liv XI.
       « Dieu sçayt ce que je sens me veoyr en termes de fayre ce que je fays avec le marquis : mais nécessité n’a point de loy... » (Lettre de Charles à la reine Marie du 13 novembre, dans Lanz, t. III, p. 513.)
       Dans les conférences qui se tinrent à Francfort au mois de juin de l’année suivante, Charles-Quint excusa la confirmation des traités d’Albert de Brandebourg avec les deux évêques, alors que, quelques semaines auparavant, il les avait cassés, en faisant dire, par ses ambassadeurs, qu’Albert en avait fait une condition sine qua non, et que si Dieu lui eut donné un plus heureux succès devant Metz, il aurait trouvé d’autres moyens de satisfaire ce prince.
  2. Al. Henne, t. IX, pp. 331-334.
  3. C’est ce que Granvelle lui-même nous apprend dans une lettre du 1er mai 1579 écrite à Alexandre Farnèse à propos du siége de Maestricht (Bulletins de la Commission royale d’histoire, 3e série, t. XI, p. 283.)
  4. Nous ne trouvons aucun document qui puisse nous fixer sur l’étendue des pertes faites par l’armée impériale devant Metz.
       Sandoval (liv. XXXI, § XXVIII) parle de quarante mille hommes morts de maladie : ce chiffre est exagéré à l’excès. Il n’y a guère moins d’exagération dans celui de cent mille hommes auquel cet historien fait monter l’effectif de l’armée avant ses désastres. M. Al. Henne, qui a raconté le siége de Metz avec de grands détails et d’après quantité de documents inédits (Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. IX, pp. 311-335 et 368-387) établit parfaitement qu’on n’y comptait pas plus de cinquante à soixante mille hommes, après la jonction des forces du marquis Albert de Brandebourg.