Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/489

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fait quelqu’un pendant sa vie ont plus de mérite et d’efficacité que celles qui ont lieu pour lui après sa mort. » — « Donnez donc des ordres pour que mes obsèques commencent cette après midi. » Ainsi fut-il fait, et Charles-Quint avec les gens de sa maison, tous vêtus de deuil, prit part aux vigiles et le lendemain à la messe dites pour lui; à la messe il alla offrir son cierge entre les mains de l’officiant[1].

C’était le 30 août 1558. Ce jour-là Charles-Quint dîna sur la terrasse de son habitation; il avait peu d’appétit; pendant le repas il eut mal à la tête. Les cérémonies religieuses qui venaient de s’accomplir occupaient fortement ses pensées : il se fit apporter le portrait de l’impératrice; après l’avoir contemplé quelques instants, il demanda le tableau de la Prière dans le jardin des Oliviers, qu’il considéra avec beaucoup d’attention; il voulut enfin qu’on lui donnât le Jugement dernier du Titien, où le peintre, avec la vigueur qui caractérise son pinceau, a rendu tous les effets de la crainte et de l’espérance; il en fut vivement impressionné[2]. A quatre heures il rentra dans son appartement. La nuit fut mauvaise. Le 31, dans l’après midi, le frisson le saisit et il eut une fièvre si violente qu’il délira pendant plusieurs heures. Cet événement causa de grandes inquiétudes à son médecin, à son majordome, à tous ceux qui l’entouraient; il y avait plus de trente ans qu’il n’avait eu de fièvre, sans qu’elle fût occasionnée par la goutte. Lui-même il en comprit tout d’abord la gravité : le 3 septembre il se confessa et communia. Il avait une copie du testament qu’il avait fait à Bruxelles en 1554; il s’en fit donner lecture, afin de voir ce qu’il aurait à y ajouter; il consigna ses dispositions de dernière volonté dans un codicille que reçut, le 9, le secrétaire Gaztelú, revêtu, à cet effet, du caractère de notaire public. Il y priait instamment le roi son fils, et il lui ordonnait même comme père, de veiller avec le plus grand soin à ce que les luthériens découverts en Castille fussent punis ainsi que le méritait l’énormité de leur délit. Il y exprimait ses intentions relativement à sa sépulture. Il y déterminait les pensions et les gratifications dont jouiraient, après son décès, tous ceux de ses serviteurs qui s’étaient enfermés avec lui au monastère. Il adjoignait à ses exécuteurs testamentaires précédemment nommés Quijada, Regla et Gaztelú. Il chargeait ceux-ci de donner, par voie d’aumône, aux religieux de Yuste et d’autres couvents de l’ordre de Saint-Jérôme dont le ministère, comme prédicateurs ou comme chantres, lui avait été utile, les sommes qu’ils jugeraient convenables. Il recommandait tout particulièrement à son fils de favoriser et d’honorer Quijada, qui l’avait servi si longtemps et avec tant de dévouement et de zèle; qui, à sa demande, avait amené à Cuacos sa femme et sa maison, sans égard aux incommodités de ce séjour, et qu’il avait peu récompensé de tout cela[3].

Le docteur Corneille de Baersdorp avait été appelé de Cigales, où il était auprès de la reine douairière de Hongrie, pour prêter son concours à son confrère Mathys; il arriva le 8 septembre à Yuste. Toute la science des deux médecins fut impuissante à conjurer les progrès de la maladie. La fièvre ne déclina, à de rares intervalles, que pour reprendre avec plus de violence; elle fut accompagnée d’évacuations bilieuses, de vomissements de matières putrides, qui affaiblirent considérablement le malade. Le 19 un paroxysme, qui était le onzième, fit concevoir aux médecins les appréhensions les plus sérieuses; ils demandèrent que l’extrême-onction fût administrée à l’empereur. Fray Juan Regla l’apporta; Charles la reçut sans le moindre trouble, dans une entière connaissance et avec une dévotion singulière. A partir de ce moment, son confesseur et fray Francisco de Villalba ne le quittèrent plus. Ils lui adressaient des exhortations pieuses, ils lui récitaient des litanies et des psaumes; il écoutait attentivement les uns et les autres; lui-même il indiquait aux deux religieux ceux qu’il désirait entendre de préférence. Pendant ces discours et ces

  1. Retraite et mort, etc., t. I, pp. LII-LXXIV; t. II, pp. CLIV-CLXVI.
  2. Retraite et mort, etc., t. I. pp. LVII, 322.
  3. Sandoval, t. II, p. 657.