reux mariage. La partition fut acceptée
avec empressement par le directeur du
théâtre de la Renaissance, et le principal
rôle, celui de Denise, confié à Mme Anna
Thillon, l’étoile du moment. Dès les premières
répétitions, la musique obtint un
tel succèset provoqua un tel entraînement
que le directeur voulut qu’on augmentât
l’importance de l’œuvre : il exigea que le
librettiste, au lieu d’un acte, en fit deux :
ce qui gâta la pièce. Ce remaniement ne
refroidit cependant pas l’inspiration :
c’était toujours la même verve et la
même fraîcheur. A chaque audition, on
ji’gea la musique aussi distinguée qu’elle
était mélodieuse ; mais l’envie, tenue en
éveil par le bruit flatteur qu’excitait
d’avance cette pièce nouvelle, suscita
bientôt une cabale. Quand la première
représentation de la Chasse royale eut
lieu, le 24 octobre 1839, il régnait dans
la salle comme un souffle de tempête : dès
l’ouverture, des sifflets se firent entendre,
et toute la représentation fut troubléepar
le bruit alternatif des sifflets et des bravos.
Les artistes complètement déroutés perdirent
la tête : Henri IV, le héros de la
pièce, faillit s’asseoir sur les genoux de
Denise. D’autres méprises, non moins
graves, provoquèrent de longs éclats de
rire. Le pauvre compositeur avait la
mort dans l’ame. L’auteur du libretto,
Saint-Hilaire, qui avait manqué d’habileté
scénique, ne manqua pas de cœur en
cette circonstance. A la seconde représentation,
il fit distribuer dans la salle
un avis par lequel, condamnant le premier
son œuvre, il suppliait le public
d’écouter au moins la musique d’un
jeune compositeurdestiné à prendre une
des premières places dans l’art musical.
L’avis fit son eft’et. Le public écouta,
imposa silence à la cabale et, enthousiasmé,
rappela l’auteur à la fin de la
représentation. La défaite s’était changée
en triomphe. !Mais, hélas ! le coup
était porté. Jules Godefroid fut atteint
d’une tristesse incurable ; la mort de son
premier-né mit le comble àsadouleur ; la
fièvre le saisit, et un médecin, en recourant
à la saignée, détermina une fièvre
typhoïde qui l’enleva. Il mourut dans
les bras de son frère, le 27 février 1840.
Pour juger de ce qu’il pouvait devenir, disons en quelques mots ce qu’il fut dans la composition musicale. Son œuvre n’est pas considérable sans doute : il est mort si jeune ! Il n’avait pas trente ans. rais quelle maturité cle talent dans cette vive jeunesse ! Il n’a pas ouvert de voie nouvelle, sauf dans les combinaisons de la harpe. Il n’était pas cependant un imitateur. Son imagination précoce, qui lui fournissait’ déjà des pensées à douze ans, n’était pas arrêtée dans son essor ni alourdie par le poids d’une science uniquement puisée dans les calculs du contrepoint. 11 se déployait à l’aise sous les bercements de la mélodie et les fortes poussées de l’harmonie sur des instruments dont il avait expérimenté la nature, les ressources et la portée. Sans calquer la manière d’aucun de ses devanciers, il était de la famille d’Hérold et de Weber, il aimait leur style aussi caressant que magistral. L’étude attentive de son orchestration, comparée à celle de ces auteurs, révèle les mêmes conditions de sonorité et la même distribution des instruments.
L’ouverture du Diadesté, restée dans les répertoires d’harmonie classique, peut donner la mesure exacte de son vigoureux talent. Il y a là une plénitude de sonorité et, pour tout dire, une maestria qu’on ne rencontre guère que chez les compositeurs d’une expérience consommée. Grâce, passion, puissance, ces trois vertus géniales que ni le métier ni l’art ne peuvent donner, sans le secours d’une organisation privilégiée, telles sont les qualités de Jules Godefroid dans cette ouverture, un des chefs-d’œuvre de la musique contemporaine. L’introduction est pleine d’une suave mélodie ; le milieu rappelle l’air du ténor, où éclate la passion dans toute sa fougue ; et la stretta, avec ses brillantes harmonies, sa splendide succession d’accords en crescendo, soulève l’enthousiasme.
Le Diadesté est une œuvre importante comme science et comme inspiration. C’était le début d’un maître. Il y a là des pages d’une haute valeur et qui prouvent que l’auteur aurait pu réussir dans le grand opéra comme dans l’opéra