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VOYAGE D′UNE FEMME

au courant des événements et semblaient venir d’une autre planète. Ils voulaient que je me réunisse à eux, mais ils voyageaient trop lentement, de sorte que nous nous sommes séparés avec l’expression mutuelle de bons souhaits, et tandis que leur tente blanche s’éloignait à l’horizon sur l’océan de la prairie solitaire, je me sentis plus triste que je ne le suis souvent en disant adieu à de vieilles connaissances. Cette nuit, forcés de camper dans une neige épaisse avec un vent furieux, ils doivent avoir été à moitié gelés. Après eux, je rencontrai 2 000 têtes de maigre bétail du Texas, conduites par trois hommes à cheval d’aspect sauvage, suivis de deux chariots contenant des femmes, des enfants et des fusils. Ils avaient fait un voyage de 1 000 milles. Puis j’aperçus deux loups de prairie, semblables à des chacals : bêtes poltronnes, à la fourrure grise, qui se sauvèrent en faisant de grands bonds.

Le vent devenait d’un froid intense, et pendant les 11 milles qui suivirent, je luttai de vitesse avec la tempête qui s’approchait. Du haut de chaque ondulation des prairies, je m’attendais à voir Denver, mais ce ne fut point avant cinq heures que, d’une hauteur considérable, je contemplai la grande « cité des plaines », la métropole des territoires. Brune et nue, la ville vantarde s’étendait dans la plaine, comme elle brune et nue, qui ne semble nourrir que de l’absinthe et des yuccas. La Platte, peu profonde, réduite à un étroit cours d’eau dans un lit plein de galets, six fois trop grand pour elle, et bordée de peupliers du Canada desséchés, serpente près de Denver ; à 2 milles en suivant son cours, je vis un grand tourbillon de sable qui couvrit la ville