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VOYAGE D′UNE FEMME

dans cette maison, et fus bien aise de partir de bonne heure le matin suivant, quoiqu’il fut visible qu’une tempête de neige s’avançait. Je vis passer rapidement le wagon miniature du chemin de fer de Rio-Grande, il était chauffé, garni de coussins, et je souhaitai bien un peu d’être dedans et non point sur le flanc glacé de la colline. Je n’avais fait que quatre milles quand la tempête arriva si violente, que j’entrai dans une cuisine où s’abritaient onze malheureux voyageurs. La neige fondait sur eux et dégouttait sur le plancher. J’avais si bien appris chez les Chalmers l’art « d’être agréable », je le pratiquai avec tant de succès pendant les deux heures que je passai là, en pelant des pommes de terre et faisant des scones[1], que, lorsque je partis, les hôtes, quoiqu’ils tinssent une maison pour les voyageurs, ne voulaient rien prendre pour mon repas, parce que, disaient-ils, j’étais de si aimable compagnie ! La tempête se calmant un peu, à une heure je sellai Birdie, et fis quatre milles de plus, traversant une crique gelée dont la glace se brisa sous le poney, à sa grande frayeur. Je ne puis décrire ce que je ressentis pendant ce voyage : la solitude était absolue, tout était silencieux, il n’y avait pas de vent, et la neige tombait doucement ; les montagnes étaient effacées, il faisait sombre, le froid était extrême et la nature avait un aspect effrayant et inaccoutumé. Toute vie était ensevelie sous un linceul : tout travail, tout voyage suspendus. Ni vestiges de pas, ni traces de roues. Rien qui pût effrayer cependant, et quoique je ne puisse dire précisément que cette

  1. Sorte de muffins.