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AUX MONTAGNES ROCHEUSES

des choses fait que personne n’ayant d’argent, rien n’a de valeur. Pour moi, le résultat est que, nolens volens, il faut que je remonte à Estes-Park, où je puis vivre sans argent comptant, et que j’y reste jusqu’à ce que tout aille mieux. Mon sort ne me paraît pas très-dur ! Le pic de Long s’élève dans sa teinte de pourpre, et je soupire après l’air frais et la vie libre du creux d’azur solitaire qui s’étend à ses pieds.

Estes-Park, 20 novembre.

Je voudrais n’avoir point autre chose que trois points d’exclamation à donner à ma belle retraite solitaire, sublime, élevée, lointaine, aimée des animaux, qui me paraît plus que jamais impossible à décrire ; mais vous voudrez savoir comment j’y suis arrivée, et je désire que vous appreniez dans quelles circonstances. singulières je me trouve. Je quittai Longmount samedi matin, à huit heures, assez pesamment chargée, car, en plus de mes bagages, on m’avait demandé de prendre le sac des dépêches alourdi par les journaux. On croyait qu’Edwards et sa femme étaient encore ici. J’étais menacée d’une grande tempête de neige, et le ciel tout entier, ce vaste dôme qui s’étend sur les plaines, — était couvert de nuages ; au-dessus des montagnes, il était d’un bleu triste et profond sur lequel les pics neigeux se dressaient ensoleillés. La matinée était sombre, mais quand j’eus atteint le beau canyon de la Saint-Vrain, le bleu s’éclaircit, et le chaud soleil scintilla. C’était d’une incomparable beauté ; beaucoup plus beau que les endroits si vantés que j’avais vus ailleurs. D’abord, cette belle vallée de jolies savanes,