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VOYAGE D′UNE FEMME.

bon feu, du café, tout en ne décolérant pas. Il me dit tout au monde pour m’empêcher de continuer ma route, excepte que c’était dangereux. Tout ce qu’il m’avait dit est arrivé, et je suis ici à l’abri ! — Le désir d’avoir vos lettres l’emportant, je me décidai à repartir. Il s’écria alors : « J’ai vu bien des gens insensés, mais jamais personne qui le fût autant que vous. Vous n’avez pas un grain de bon sens : moi qui suis un vieux montagnard, je ne voudrais pas descendre aux plaines aujourd’hui. » Je lui répondis qu’il ne le pouvait pas, bien qu’il en eût très-grande envie, attendu que tous ses chevaux étaient détachés. Là-dessus, il se mit à rire de bon cœur, et plus encore quand je lui racontai les histoires de Lyman ; de sorte que je me demande si beaucoup des sombres accès que j’ai vus dernièrement n’étaient pas feints.

Il me reconduisit au chemin, et l’entrevue, qui avait commencé par un coup de pistolet, finit très-agréablement. C’était un voyage étrange, inoubliable, quoique sans danger. Je ne reconnaissais rien. Chaque arbre était argenté, et les touffes d’aiguilles des sapins semblaient être des chrysanthèmes blancs. Dans les ravins, il y avait un pied de neige, dont la surface dure et unie portait les marques de pattes d’oiseaux et de bêtes innombrables. Des ponts de neige s’étaient formés au-dessus de toutes les rivières, que je traversai sans m’en apercevoir. Les ravins avaient l’air d’abîmes sans fond d’où sortaient des nuages, et les sommets hérissés des montagnes, entrevus un instant à travers les tourbillons, disparurent rapidement. Tout semblait immense et sans limites. C’est alors qu’une forme