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LÉON TOLSTOÏ

promis de remplir l’autre tant que je vivrai[1]. »

« Elle écrivit cela, mais elle n’en parla jamais à aucun de nous. Après la mort de mon père elle remplit son second désir. Nous avions deux tantes et notre grand-mère. Toutes avaient sur nous plus de droits que Tatiana Alexandrovna que nous appelions tante seulement par habitude, alors que notre parenté était si éloignée que je n’en ai jamais bien su le degré. Mais, par droit d’amour, comme Bouddha au cygne blessé, elle occupait dans notre éducation la première place ; et nous le sentions.

« J’avais des élans d’amour passionné pour elle. Je me rappelle qu’une fois, sur le divan de notre salon, j’avais alors cinq ans, je m’étais couché derrière elle. Tendrement elle me toucha de la main. Je saisis cette main et me mis à la baiser et pleurai d’amour attendri pour elle.

« Elle avait été élevée comme une demoiselle de riche famille. Elle parlait et écrivait le français mieux que le russe, jouait admirablement du piano, mais, pendant trente ans, elle n’y toucha point. Elle se mit à jouer seulement quand déjà grand j’appris moi-même à jouer. Quand je jouais avec elle à quatre mains, elle m’étonnait par la correction et l’élégance de son jeu. Elle était très bonne pour les domestiques, ne leur parlait jamais durement, ne pouvait supporter même l’idée des coups, mais elle regardait les serfs comme des serfs, et se

  1. En français dans l’original.