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LÉON TOLSTOÏ

goût pour elle. Elle sentait toujours mauvais et dans sa chambre qui n’était jamais aérée régnait une odeur suffocante. Eh bien, cette Lubov Serguéievna devint l’amie de Mitenka. Il allait chez elle, l’écoutait, lui causait, lui faisait la lecture. Et, chose étrange, nous étions moralement si obtus que nous ne trouvions qu’à nous en moquer, et Mitia était moralement si grand, si indépendant de l’opinion des gens, que ni par un mot, ni par une allusion, il ne trouva nécessaire de faire comprendre qu’il croyait bon ce qu’il faisait. Il se contentait de le faire. Et cela dura tout le temps que nous vécûmes à Kazan.

« Maintenant c’est pour moi très clair que la mort n’a pas anéanti Mitia : il vivait avant que je le connusse, avant d’être né, il existe encore maintenant qu’il est mort[1] ! »

L’âge critique, la jeunesse, mène l’homme dans l’abîme des passions. Pour un homme ordinaire, c’est la période de l’entraînement des sens et des passions, c’est la période de la recherche de l’idéal, des rêves et des espérances, et, pour la plupart, d’espérances irréalisables. On peut s’imaginer les émotions intérieures que subissait une nature aussi forte sous tous les rapports que l’était celle de Tolstoï. Dans quelles contradictions se débattait son âme ! À quelle hauteur le soulevaient les rêves ailés ! Avec quelle rapidité pouvait-il choir de

  1. Notes mises à ma disposition, en brouillon, et non corrigées. P. B.