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VIE ET ŒUVRE

colonne qui s’allongeait sur la route, j’aperçus non loin de l’avant-garde, à gauche, entre Khan-Kalé et la tour de Groznaia, un détachement de vingt à vingt-cinq Tchechenzes qui s’avançait en coupant la route à la colonne. En toute hâte je me jetai à l’avant-garde et j’entendis une salve de coups de fusil; mais avant d’arriver à la 5e Compagnie, une centaine de pas avant, j’aperçus le canon déjà ôté de l’avant-train et la mèche levée sur lui. « Arrête ! Arrête ! C’est les nôtres qui sont là-bas ! » criai-je de toutes mes forces, et par bonheur j’eus le temps d’arrêter le coup dirigé dans le tas des cavaliers qui se trouvaient sur la route et parmi lesquels étaient aussi les nôtres.

« À peine le 3e détachement s’était-il, par mes ordres, mis en mouvement, que les Tchetchenzes commençaient à s’enfuir par la steppe vers Argoune, et deux grenades étaient envoyées contre eux. Au même moment, du lieu de la bataille accourait à la colonne le baron Rosen, étourdi, pâle comme un mort et presque derrière lui, un cheval bai, sans selle, que les artilleurs reconnurent pour celui de leur officier. En même temps, des buissons qui bordaient la route, se montra le sous-lieutenant d’artillerie lui même, Stcherbachev, un jeune adolescent de dix-neuf ans, au teint rouge, qui, quelques mois auparavant, avait quitté les bancs de l’école d’artillerie. Lui qui nous étonnait tous par sa santé, sa corpulence extraordinaire et sa force, en ce moment nous frappa. Il marchait à pas lents