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LÉON TOLSTOÏ

près l’air aussi effrayant que cela le paraît. La nuit, quand on n’y voyait rien, c’était à qui brûlerait le plus de poudre, et avec ces milliers de coups de canons on tuait tout au plus une trentaine d’hommes de part et d’autre. Vous me permettez, chère tante, de m’adresser dans cette lettre à Nicolas, car une fois que je me suis mis à donner des détails de la guerre, je voudrais continuer et m’adresser à un homme qui me comprenne, et vous puisse donner des explications sur ce qui vous paraît obscur. Ceci est donc un spectacle ordinaire que nous avions tous les jours et dans lequel, quand on m’envoyait avec des ordres dans les tranchées, je prenais aussi ma part ; mais nous avions aussi des spectacles extraordinaires, comme celui de la veille de l’assaut, quand on a fait sauter une mine de 240 pouds[1] de poudre sous l’un des bastions de l’ennemi. Le matin de cette journée, le prince avait été aux tranchées avec tout son état-major (comme le général auprès duquel j’étais en fait partie, j’y ai aussi été) pour faire les dispositions définitives, et pour l’assaut du lendemain. Le plan, trop long pour que je puisse l’expliquer ici, était bien fait, tout était si bien prévu que personne ne doutait de la réussite. À propos de cela il faut que je vous dise encore que je commence à avoir de l’admiration pour le prince (au reste il faut en entendre parler parmi les officiers et les soldats,

  1. Un poud correspond à environ 16 kilogr.