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LÉON TOLSTOÏ

lement, il faudrait les attacher à un char d’infamie et les traîner dans les rues de Pétersbourg. Déjà s’élaborait en lui cette opinion sur les femmes et sur la question féminine exprimée avec tant de clarté dans le roman Anna Karénine.

« La scène qui eut lieu à la rédaction pouvait être provoquée par son irritation contre tout ce qui était de Pétershourg, mais surtout par son penchant à la contradiction, quelque opinion qu’on exprimât ; et plus son interlocuteur lui paraissait autoritaire, plus il s’excitait à dire des choses contraires. En observant comment il écoutait, regardait son interlocuteur, du fond de ses yeux gris profondément enfoncés dans les orbites, avec quelle ironie se serraient ses lèvres, on pouvait affirmer qu’il réfléchissait à l’avance à un argument direct qui devait frapper l’interlocuteur par son inattendu. Tel se présentait à moi Tolstoï dans sa jeunesse. Dans les discussions, il allait parfois jusqu’aux dernières limites. Je me trouvais dans une pièce voisine, quand une fois, chez lui, commença une discussion avec Tourgueniev. Entendant des cris, je rentrai dans la chambre. Tourgueniev marchait d’un coin à l’autre, montrant toutes les marques d’une gêne excessive. Il profita de la porte ouverte et disparut aussitôt. Tolstoï était allongé sur le divan et son irritation était si forte qu’il fallut beaucoup d’efforts pour le calmer et le ramener à la maison. J’ignore jusqu’à présent l’objet de la discussion[1]. »

  1. Œuvres complètes de Grigorovitch. Vol. xii, p. 326.