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VIE ET ŒUVRE

gieux, sérieux, qu’il était en tout. Il racheta et prit chez lui la prostituée Macha, la première femme qu’il connut. Mais, en général, cette vie ne dura pas longtemps. Je pense que c’est moins la mauvaise vie qu’il mena durant quelques mois à Moscou que les remords de conscience qui ruinèrent d’un coup son puissant organisme. Il tomba malade de phtisie et partit à la campagne. Il se fit soigner dans plusieurs villes et s’alita à Orel où je le vis pour la dernière fois, déjà après la guerre de Sébastopol. Il était effrayant : un énorme poignet attaché au cubitus et au radius, dans son visage plus que des yeux, ses mêmes beaux yeux sérieux et qui, maintenant, avaient l’air interrogateur. Il toussotait sans cesse, crachait, et ne voulait pas mourir ; il ne voulait pas croire qu’il se mourait. Macha, grêlée, un fichu sur la tête, le soignait. Devant moi, sur son désir, on lui apporta l’icône miraculeuse. Je me rappelle l’expression de son visage quand il pria sur cette icône[1].

« J’étais particulièrement odieux à cette époque. J’arrivais à Orel de Pétersbourg où je fréquentais dans le monde et j’étais plein de vanité. J’eus pitié de Mitenka, mais pas beaucoup ; je fis un tour à Orel et partis. Il mourut quelques jours après. Vraiment il me semble que le plus pénible pour moi, dans sa mort, ce fut l’empêchement d’aller au spectacle de

  1. Les lecteurs d’Anna Karénine reconnaîtront, dans la description de la mort du frère de Lévine, l’incarnation de cet homme remarquable. P. B.