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LÉON TOLSTOÏ

et, au tournant de la route, de nouveau nous avons aperçu au-dessous de nous le lac et la vallée à une profondeur effrayante. Là-bas, les monts de la Savoie étaient tout à fait bleus, le lac seulement plus sombre, les sommets éclairés par le soleil, nettement rose pâle. Il y avait davantage de montagnes neigeuses, elles paraissaient plus hautes et plus variées. On apercevait sur le lac les voiles et les barques comme des points à peine perceptibles. C’était beau, même extraordinairement beau. Mais ce n’était plus la nature qui était belle, c’était quelque autre chose. Je n’aime pas ces vues réputées majestueuses et célèbres, elles ont une certaine froideur. J’aime la nature quand de tous côtés elle m’entoure et ensuite se développe dans le lointain, mais quand je m’y trouve. J’aime quand de tous côtés m’entoure l’air chaud, qui se répand dans le lointain infini, quand cette même herbe grasse que j’ai écrasée en m’asseyant fait la verdure des champs infinis ; quand ces mêmes feuilles qui, agitées par le vent, portent l’ombre sur mon visage font le bleu de la forêt lointaine, quand ce même air que je respire fait le fond bleu du ciel infini, quand je ne suis pas seul à jouir de la nature, mais quand, autour de moi, bourdonnent et tournoient des millions d’insectes, courent les coccinelles et que tout alentour chantent les oiseaux… Et ces petits espaces nus, froids, déserts, et quelque part, au loin, quelque chose de beau caché par le voile du lointain ! Mais ce quelque chose est si loin qu’il ne me donne pas