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Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/115

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VIE ET ŒUVRE

humainement de tels hommes, de dire s’ils sont bons, intelligents, puisqu’on ne sait ce qu’ils seraient s’ils cessaient d’être colonels, professeurs, ministres, juges, et devenaient tout simplement des hommes. C’était le cas du colonel U… C’était un officier très ponctuel, un hôte très correct, mais quel homme était-il, on ne pouvait le savoir. Je pense que lui-même n’en savait rien et ne se souciait point de le savoir. Stassulevitch lui, était un homme très actif, mais déformé par certains côtés, surtout par les déboires et les humiliations que son orgueil et son amour-propre supportaient difficilement.

« C’est du moins ce qu’il me semblait, mais je le connaissais trop peu pour pénétrer à fond son âme. Je sais seulement que les relations avec lui étaient agréables et éveillaient à la fois la commisération et le respect. Par la suite, je le perdis de vue et j’appris plus tard, qu’il s’était donné la mort d’une façon étrange. Un matin il s’était levé de très bonne heure, avait endossé un lourd pardessus ouaté et était ainsi entré dans une rivière, où il se noya.

« J’ai oublié lequel des deux, Kolokoltzov ou Stassulevitch, mais un jour, l’été, en arrivant chez nous, ils nous racontèrent l’événement, stupéfiant pour un militaire, qui s’était produit dans leur régiment. Un soldat avait frappé au visage le chef de la compagnie, un capitaine sorti de l’Académie de l’État-major. Stassulevitch, avec une ardeur particulière, s’apitoyait sur le soldat que menaçait la peine de mort et il me proposa de défendre ce soldat devant le Conseil de guerre. Je dois dire que la