Aller au contenu

Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
VIE ET ŒUVRE

tka, pendant les premières nuits froides, ou le koumiss m’est nuisible. Mais depuis trois jours que je suis ici, je me sens pire. C’est surtout la faiblesse, l’angoisse ; je veux rire et pleurer ; mais ni avec les Bachkirs, ni avec Stepan, ce n’est commode. Le pire, c’est que, par mon malaise, je me sens la dixième partie de ce que je suis : nulle jouissance intellectuelle et surtout poétique. Je regarde tout comme un mort, état qui m’a rendu détestables beaucoup de gens. Et maintenant, moi-même, je ne vois que ce qu’il y a. Je comprends, je combine mais je ne vois pas au-delà, avec l’amour, comme auparavant. À la moindre inspiration poétique, j’ai envie de pleurer.

« Il y a beaucoup de nouveau et d’intéressant : et les Bachkirs, qui sentent Hérodote, et les paysans russes, et les campagnes, surtout charmantes par la simplicité et la bonté du peuple[1]. »

Inquiète, la Comtesse le réprimande et lui répond :

« Si tu travailles toujours tes Grecs, tu ne guériras pas. Ce sont eux qui te valent cette angoisse et cette indifférence pour la vie présente. Ce n’est pas en vain une langue morte : elle met en un état d’esprit mort. Ne va pas croire que j’ignore pourquoi ces langues sont appelées langues mortes, c’est moi qui leur attribue cet autre sens[2]. »

Mais peu à peu Tolstoï retrouve ses forces, et avec elles l’intérêt pour la vie qui l’entoure. Le 27 juin il écrit à sa femme :

« Le village des Bachkirs, leur demeure d’hiver, est à deux verstes. Dans les champs près du fleuve

  1. Archives de la comtesse S. A. Tolstoï.
  2. Ibid.