Page:Bjørnson - Chemin de fer et cimetière.djvu/23

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la mort, le suivait. À l’intérieur de l’église, la curiosité était si vive que, chacun fixant les yeux sur lui, le chant s’arrêta sur toutes les lèvres. Knud Aakre, assis à son banc, remarqua qu’il se passait quelque chose, leva les yeux et ne vit rien en face de lui, mais, se retournant, il aperçut Lars, penché sur son livre de cantiques, et cherchant la page indiquée.

Il ne l’avait pas vu depuis la mémorable séance du conseil, et n’aurait pas cru qu’un changement aussi complet fût possible. Ce n’était plus le victorieux Lars. Ses cheveux s’étaient faits plus rares encore, sa figure émaciée avait quelque chose de hagard, ses yeux creux semblaient injectés de sang, son cou de géant était étiré et couvert de rides. Knud comprit d’un coup d’œil tout ce que cet homme avait souffert ; il fut saisi d’une vive sympathie et sentit quelque chose de son attachement d’autrefois remuer dans sa poitrine. Il pria Dieu pour Lars, et se promit de s’approcher de lui après le service ; mais Lars avait disparu. Il résolut d’aller chez lui dans la soirée ; sa femme le retint.

— Lars, dit-elle, est un de ces hommes qui ne peuvent pas porter le poids de la reconnaissance ; tiens-toi loin de lui jusqu’à ce qu’il ait l’occasion de te rendre un service : alors peut-être viendra-t-il à toi.

Mais il ne vint pas. De temps à autre il paraissait à l’église, jamais ailleurs, et n’avait de contact avec personne. Il se vouait maintenant à son gard et à ses affaires avec l’ardeur passionnée d’un homme qui veut réparer en quelques mois les négligences de plusieurs années et, en effet, il ne manquait pas de gens pour dire qu’il y avait urgence.

Les travaux du chemin de fer commencèrent bientôt dans la vallée. Comme la ligne devait passer droit devant Högstad, Lars abattit la portion de sa maison qui se trouvait en face du chemin, pour y construire un vaste et beau balcon : il avait décidé que son gard commanderait l’attention. On était en plein travail, lorsque les wagonets et la petite locomotive qui devaient transporter sur place le ballast et les traverses apparurent. C’était un beau soir d’automne. Lars se tenait sur les degrés d’entrée de sa maison pour entendre le premier signal et voir la première colonne de fumée ; tous les habitants du gard étaient autour de lui. Tout en regardant la vaste étendue