Page:Bjørnson - Chemin de fer et cimetière.djvu/24

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de la paroisse, illuminée par le soleil couchant, il songeait qu’on se souviendrait de lui aussi longtemps qu’un train passerait à grand bruit à travers la vallée. Un sentiment de pardon se glissa dans son âme. Il regarda vers le cimetière, dont une partie était restée intacte, ses croix de bois inclinées vers le sol, tandis que la voie ferrée occupait le reste. Il s’efforçait de se rendre compte de ce qu’il éprouvait, quand le signal se fit entendre et, voilà, le train s’avança lentement, entouré d’un nuage de fumée mêlé d’étincelles, parce que la locomotive était chauffée avec du bois de pin. Le vent soufflait du côté de la maison ; tous les spectateurs furent enveloppés dans une épaisse fumée, mais qui se dissipa bientôt, et Lars put voir alors le train poursuivant sa route comme une volonté de fer à laquelle rien ne résiste.

Il était satisfait et rentra dans sa maison comme un homme qui revient d’une longue journée de travail. À ce moment, l’image de son grand-père se présenta à son esprit. Ce grand-père avait élevé sa famille de la pauvreté à l’aisance ; il est vrai que quelque chose de son honneur comme citoyen avait été sacrifié : néanmoins, il avait fait son chemin. Ses fautes étaient celles de son temps, et reposaient sur les limites incertaines des conceptions morales au milieu desquelles il avait grandi.

Honneur à lui dans sa tombe, car il a souffert et travaillé durement ! Paix lui soit ! Il doit être bon pour lui de se reposer enfin… Mais il ne lui est pas permis de se reposer, à cause des vastes ambitions de son petit-fils ; ses cendres ont été dispersées çà et là avec les pierres et les gravois. Folie que tout cela ! Il n’aurait fait que sourire en pensant que l’œuvre de son petit-fils avait passé sur sa tête…

Tout en ruminant ces pensées, Lars s’était déshabillé et mis au lit. Alors, une fois encore l’ombre de son grand-père se glissa devant lui, plus sévère que lors de sa première apparition. La fatigue nous affaiblit, et Lars commençait à se faire des reproches. Mais il se défendait aussi lui-même. Que manquait-il à son grand-père ? À coup sûr, il devait être satisfait, maintenant qu’on rendait gloire à grand bruit à sa famille, au-dessus de sa tombe. Qui d’autre possède un tel monument ? Et cependant qu’y a-t-il ? Qu’est-ce là ? Ces deux yeux de feu,