Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/102

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je vous ferai des questions si simples, qu’elles ne seront point sujettes au distinguo.

Je vous demande donc, sans parler de droit positif, ni de présomption de tribunal extérieur, si un bénéficier sera simoniaque, selon vos auteurs, en donnant un bénéfice de quatre mille livres de rente, et recevant dix mille francs argent comptant, non pas comme prix du bénéfice, mais comme un motif qui le porte à le donner. Répondez-moi nettement, mes Pères ; que faut-il conclure sur ce cas, selon vos auteurs ? Tannerus ne dira-t-il pas formellement que ce n’est pas simonie en conscience, puisque le temporel n’est point le prix du bénéfice, mais seulement le motif qui le fait donner ? Valentia, vos thèses de Caen, Sanchez et Escobar, ne décideront-ils pas de même, que ce n’est pas simonie par la même raison ? [En] faut-il davantage pour excuser ce bénéficier de simonie ? Et oseriez-vous le traiter de simoniaque dans vos confessionnaux, quelque sentiment que vous en ayez par vous-mêmes, puisqu’il aurait droit de vous fermer la bouche, ayant agi selon l’avis de tant de docteurs graves ? Confessez donc qu’un tel bénéficier est excusé de simonie, selon vous, et défendez maintenant cette doctrine, si vous le pouvez.

Voilà, mes Pères, comment il faut traiter les questions pour les démêler, au lieu de les embrouiller, ou par des termes d’École ou en changeant l’état de la question, comme vous faites dans votre dernier reproche en cette sorte. Tannerus, dites-vous, déclare au moins qu’un tel échange est un grand péché ; et vous me reprochez d’avoir supprimé malicieusement cette circonstance, qui le justifie entièrement, à ce que vous prétendez. Mais vous avez tort, et en plusieurs manières. Car, quand ce que vous dites serait vrai., il ne s’agissait pas, au lieu où j’en parlais, de savoir s’il y avait en cela du péché, mais seulement s’il y avait de la simonie. Or, ce sont deux questions fort séparées ; les péchés n’obligent qu’à se confesser, selon vos maximes ; la simonie oblige à restituer, et il y a des personnes à qui cela paraîtrait assez différent. Car vous avez bien trouvé des expédients pour rendre la confession douce, mais vous n’en avez point trouvé pour rendre la restitution agréable. J’ai à vous dire de plus que le cas que Tannerus accuse de péché n’est pas simplement celui où l’on donne un bien spirituel pour un temporel, qui en est le motif même principal ; mais il ajoute encore que l’on prise plus le temporel que le spirituel, ce qui est ce cas imaginaire dont nous avons parlé. Et il ne fait pas de mal de charger celui-là de péché, puisqu’il faudrait être bien méchant ou bien stupide, pour ne vouloir pas éviter un péché par un moyen aussi facile qu’est celui de s’abstenir de comparer les prix de ces deux choses, lorsqu’il est permis de donner l’une pour l’autre. Outre que Valentia, examinant, au lieu déjà cité, s’il y a du péché à donner un bien spirituel pour un temporel, qui en est le motif principal, rapporte les raisons de ceux qui disent que oui, en ajoutant : sed hoc non videtur mihi salis certum ; cela ne me parait pas assez certain.

Mais, depuis, votre P. Erade Bille, professeur des cas de conscience à Caen, a décidé qu’il n’y a en cela aucun péché, car les opinions probables vont toujours en mûrissant. C’est ce qu’il déclare dans ses écrits de 1644, contre lesquels M. Dupré, docteur et professeur à Caen, fit cette belle harangue imprimée, qui est assez connue. Car, quoique ce P. Erade Bille reconnaisse que la doctrine de Valentia, suivie par le P. Milhard, et condamnée en Sorbonne, soit contraire au sentiment commun, suspecte de simonie en plusieurs choses, et punie en justice, quand la pratique en est découverte, il ne laisse pas de dire que c’est une opinion probable, et par conséquent sûre en conscience, et qu’il n’y a en cela ni simonie ni péché. C’est, dit-il, une opinion probable et enseignée par beaucoup de docteurs catholiques, qu’il n’y a aucune simonie, NI AUCUN PECHE, à donner de l’argent, ou une autre chose temporelle pour un bénéfice, soit par forme de reconnaissance,