Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/106

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vous ne jugiez bien que, pour accuser cet auteur d’avoir supprimé ces paroles de ce passage, il faudroit l’obliger de rapporter des passages de quinze pages in-folio dans une lettre de huit pages in-4°, où il a accoutumé d’en rapporter trente ou quarante, ce qui ne seroit pas raisonnable.

Ces paroles ne peuvent donc servir qu’à vous convaincre vous-même d’imposture, et elles ne servent pas aussi davantage pour justifier Vasquez. On a accusé ce jésuite d’avoir ruiné le précepte de Jésus-Christ, qui oblige les riches de faire l’aumône de leur superflu, en soutenant « que ce que les riches gardent pour relever leur condition, ou celle de leurs parens, n’est pas superflu ; et qu’ainsi à peine en trouvera-t-on dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. » C’est cette conséquence, « qu’il n’y a presque jamais de superflu dans les gens du monde, » qui ruine l’obligation de donner l’aumône, puisqu’on en conclut, par nécessité, que, n’ayant point de superflu, ils ne sont pas obligés de le donner. Si c’étoit l’auteur des Lettres qui l’eût tirée, vous auriez quelque sujet de prétendre qu’elle n’est pas enfermée dans ce principe, « que ce que les riches gardent pour relever leur condition ou celle de leurs parens n’est pas appelé superflu. » Mais il l’a trouvée toute tirée dans Vasquez. Il ya lu ces paroles, si éloignées de l’esprit de l’Évangile et de la modération chrétienne, « qu’à peine trouvera-t-on du superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. » Il y a lu encore cette dernière conclusion rapportée dans la douzième lettre : « A peine est-on obligé de donner l’aumône quand on n’est obligé à la donner que de son superflu ; » et ce qui est remarquable, c’est qu’elle se voit au même lieu que ces paroles : Statum quem licite possuunt acquirere, par lesquelles vous prétendez l’éluder. Vous chicanez donc inutilement sur le principe, lorsque vous êtes obligé de vous taire sur les conséquences qui sont formellement dans Vasquez, et qui suffisent pour anéantir le précepte de Jésus-Christ, comme on l’a accusé de l’avoir fait. Si Vasquez les avoit mal tirées de son principe, il y auroit joint une faute de jugement avec une erreur dans la morale ; et il n’en seroit pas plus innocent, ni le précepte de Jésus-Christ moins anéanti. Mais il paraîtra, par la réfutation de la seconde fausseté que vous reprochez à l’auteur des Lettres, que ces mauvaises conséquences sont bien tirées du mauvais principe que Vasquez établit au même lieu ; et que ce jésuite n’a pas péché contre les règles du raisonnement, mais contre celles de l’Évangile.

Cette seconde fausseté que vous dites qu’il a dissimulée après en avoir été convaincu, est qu’il a omis ces paroles par un dessein outrageux, pour corrompre la pensée de ce père et en tirer cette conclusion scandaleuse, « qu’il ne faut, selon Vasquez, qu’avoir beaucoup d’ambition pour n’avoir point de superflu ; » sur cela, monsieur, je vous pourrois dire, en un mot, qu’il n’y eut jamais d’accusation moins raisonnable que celle-là. Les jésuites ne se sont jamais plaints de cette conséquence. Et cependant vous reprochez à l’auteur des Lettres de n’avoir pas répondu à une objection qu’on ne lui avoit pas encore faite. Mais si vous croyez avoir été en cela plus clairvoyant que toute cette Compagnie, il sera aisé de vous guérir de cette vanité, qui seroit injurieuse à ce grand corps. Car comment pouvez-vous nier que de ce principe de Vasquez, « ce que l’on garde pour relever sa condition ou celle de ses parens n’est pas appelé superflu, » on ne conclue nécessairement qu’il ne faut qu’avoir beaucoup d’ambition pour n’avoir point de superflu ? Je vous permets de bon cœur d’y ajouter encore la condition qu’il exprime en un autre endroit, qui est que l’on ne veuille relever son état que par les voies légitimes : Statum quem licite possunt acquirere. Cela n’empêchera pas la vérité de la conséquence que vous accusez de fausseté.

Il est vrai, monsieur, qu’il y a quelques riches qui peuvent relever