Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/115

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langage d’un homme qui condamne une maxime ? Diriez-vous qu’il. ne faut pas permettre facilement, dans la pratique, les adultères ou les incestes ? Ne doit-on pas conclure au contraire que, puisque Lessius ne dit autre chose, sinon que la pratique n’en doit pas être facilement permise, son sentiment est que cette pratique peut être quelquefois permise, quoique rarement ? Et comme s’il eût voulu apprendre à tout le monde quand on la doit permettre, et ôter aux personnes offensées les scrupules qui les pourraient troubler mal à propos, ne sachant en quelles occasions il leur est permis de tuer dans la pratique, il a eu soin de leur marquer ce qu’ils doivent éviter pour pratiquer cette doctrine en conscience. Ecoutez-le, mes Pères. Il semble, dit-il, qu’on ne doit pas le permettre facilement, A CAUSE du danger qu’il [y] a qu’on agisse en cela par haine, ou par vengeance, ou avec excès, ou que cela ne causât trop de meurtres. De sorte qu’il est clair que ce meurtre restera tout a fait permis dans la pratique, selon Lessius, si on évite ces inconvénients, c’est-à-dire si l’on peut agir sans haine, sans vengeance, et dans des circonstances qui [n’]attirent pas beaucoup de meurtres. En voulez-vous un exemple, mes Pères ? En voici un assez nouveau ; c’est celui du soufflet de Compiègne. Car vous avouerez que celui qui l’a reçu a témoigné, par la manière dont il s’est conduit, qu’il était assez maître des mouvements de haine et de vengeance. Il ne lui restait donc qu’à éviter un trop grand nombre de meurtres ; et vous savez, mes Pères, qu’il est si rare que des Jésuites donnent des soufflets aux officiers de la maison du roi, qu’il n’y avait pas à craindre qu’un meurtre en cette occasion en eût tiré beaucoup d’autres en conséquence. Et ainsi vous ne sauriez nier que ce Jésuite ne fût tuable en sûreté de conscience, et que l’offensé ne pût en cette rencontre pratiquer envers lui la doctrine de Lessius. Et peut-être, mes Pères, qu’il l’eût fait, s’il eût été instruit dans votre école, et s’il eût appris d’Escobar qu’un homme qui a reçu un soufflet est réputé sans honneur jusqu’à ce qu’il ait tué celui qui le lui a donné. Mais vous avez sujet de croire que les instructions fort contraires qu’il a reçues d’un curé que vous n’aimez pas trop, n’ont pas peu contribué en cette occasion à sauver la vie à un Jésuite.

Ne nous parlez donc plus de ces inconvénients qu’on peut éviter en tant de rencontres, et hors lesquels le meurtre est permis, selon Lessius, dans la pratique même. C’est ce qu’ont bien reconnu vos auteurs, cités par Escobar dans la pratique de l’homicide selon votre Société : Est-il permis, dit-il, de tuer celui qui a donné un soufflet ? Lessius dit que cela est permis dans la spéculation, mais qu’on ne le doit pas conseiller dans la pratique, non consulendum in praxi, à cause du danger de la haine ou des meurtres nuisibles à l’État qui en pourraient arriver. MAIS LES AUTRES ONT JUGE QU’EN EVITANT CES INCONVENIENTS CELA EST PERMIS ET SUR DANS LA PRATIQUE : in praxi probabilem et tutam judicarunt Henriquez, etc. Voilà comment les opinions s’élèvent peu à peu jusqu’au comble de la probabilité. Car vous y avez porté celle-ci, en la permettant enfin sans aucune distinction de spéculation ni de pratique, en ces termes : Il est permis, lorsqu’on a reçu un soufflet, de donner incontinent un coup d’épée, non pas pour se venger, mais pour conserver son honneur. C’est ce qu’ont enseigné vos Pères à Caen, en 1644, dans leurs écrits publics, que l’Université produisit au Parlement lorsqu’elle y présenta sa troisième requête contre votre doctrine de l’homicide, comme il se voit en la p. 339 du livre qu’elle en fit alors imprimer.

Remarquez donc, mes Pères, que vos propres auteurs ruinent d’eux-mêmes cette vaine distinction de spéculation et de pratique que l’Université avait traitée de ridicule, et dont l’invention est un secret de votre politique qu’il est bon de faire entendre. Car, outre que l’intelligence en est nécessaire pour les 15. 16. 17. et 18. impostures, il est toujours à propos de découvrir peu à peu les principes de cette politique mystérieuse.