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Du 25 novembre 1656.

Mes Révérends Pères,

Puisque vos impostures croissent tous les jours, et que vous vous en servez pour outrager si cruellement toutes les personnes de piété qui sont contraires à vos erreurs, je me sens obligé, ont leur intérêt et pour celui de l’Église, de découvrir un mystère de votre conduite, que j’ai promis il y a longtemps, afin qu’on puisse reconnaître par vos propres maximes quelle foi l’on doit ajouter à vos accusations et à vos injures.

Je sais que ceux qui ne vous connaissent pas assez ont peine à se déterminer sur ce sujet, parce qu’ils se trouvent dans la nécessité, ou de croire les crimes incroyables dont vous accusez vos ennemis, ou de vous tenir pour des imposteurs, ce qui leur paraît aussi incroyable. Quoi ! disent-ils, si ces choses-là n’étaient, des religieux les publieraient-ils, et voudraient-ils renoncer à leur conscience, et se damner par ces calomnies ? Voilà la manière dont ils raisonnent ; et ainsi, les preuves visibles par lesquelles on ruine vos faussetés rencontrant l’opinion qu’ils ont de votre sincérité, leur esprit demeure en suspens entre l’évidence de la vérité, qu’ils ne peuvent démentir, et le devoir de la charité qu’ils appréhendent de blesser. De sorte que, comme la seule chose qui les empêche de rejeter vos médisances est l’estime qu’ils ont de vous, si on leur fait entendre que vous n’avez pas de la calomnie l’idée qu’ils s’imaginent que vous en avez, et que vous croyez pouvoir faire votre salut en calomniant vos ennemis, il est sans doute que le poids de la vérité les déterminera incontinent à ne plus croire vos impostures. Ce sera donc, mes Pères, le sujet de cette lettre.

Je ne ferai pas voir seulement que vos écrits sont remplis de calomnies, je veux passer plus avant. On peut bien dire des choses fausses en les croyant véritables, mais la qualité de menteur enferme l’intention de mentir, je ferai donc voir, mes Pères, que votre intention est de mentir et de calomnier ; et que c’est avec connaissance et avec dessein que vous imposez à vos ennemis des crimes dont vous savez qu’ils sont innocents, parce que vous croyez le pouvoir faire sans déchoir de l’état de grâce. Et, quoique vous sachiez aussi bien que moi ce point de votre morale, je ne laisserai pas de vous le dire, mes Pères, afin que personne n’en puisse douter, en voyant que je m’adresse à vous pour vous le soutenir à vous-mêmes, sans que vous puissiez avoir l’assurance de le nier, qu’en confirmant par ce désaveu même le reproche que je vous en fais. Car c’est une doctrine si commune dans vos écoles que vous l’avez soutenue non seulement dans vos livres, mais encore dans vos thèses publiques, ce qui est la dernière hardiesse ; comme entre autres dans vos thèses de Louvain de l’année 1645, en ces termes : Ce n’est qu’un péché véniel de calomnier et d’imposer de faux crimes pour ruiner de créance ceux qui parlent mai de nous. Quidni nonnis si veniale sit, detrahentis autoritatem magnam, tibi noxiam, faiso crimine elidere ? Et cette doctrine est si constante parmi vous, que quiconque ose l’attaquer, vous le traitez d’ignorant et de téméraire.

C’est ce qu’a éprouvé depuis peu le P. Quiroga, Capucin allemand lorsqu’il voulut s’y opposer. Car votre Père Dicastillus l’entreprit incontinent, et il parle de