Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/13

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Je l’entends au sens des Molinistes. A quoi mon homme, sans s’émouvoir : Auxquels des Molinistes, me dit-il, me renvoyez-vous ? Je les lui offris tous ensemble, comme ne faisant qu’un même corps et n’agissant que par un même esprit.

Mais il me dit : Vous êtes bien peu instruit. Ils sont si peu dans les mêmes sentiments, qu’ils en ont de tout contraires. Mais, étant tous unis dans le dessein de perdre M. Arnauld, ils se sont avisés de s’accorder de ce terme de prochain, que les uns et les autres diraient ensemble, quoiqu’ils l’entendissent diversement, afin de parler un même langage, et que, par cette conformité apparente, ils pussent former un corps considérable, et composer le plus grand nombre, pour l’opprimer avec assurance.

Cette réponse m’étonna ; mais, sans recevoir ces impressions des méchants desseins des Molinistes, que je ne veux pas croire sur sa parole, et où je n’ai point d’intérêt, je m’attachai seulement à savoir les divers sens qu’ils donnent à ce mot mystérieux de prochain. Il me dit : Je vous en éclaircirais de bon cœur ; mais vous y verriez une répugnance et une contradiction si grossière, que vous auriez peine à me croire. Je vous serais suspect. Vous en serez plus sûr en l’apprenant d’eux-mêmes, et je vous en donnerai les adresses. Vous n’avez qu’à voir séparément M. Le Moyne et le Père Nicolaï. Je ne connais ni l’un ni l’autre, lui dis-je. Voyez donc, me dit-il, si vous ne connaîtrez point quelqu’un de ceux que je vous vas nommer, car ils suivent les sentiments de M. Le Moyne. J’en connus en effet quelques-uns. Et ensuite il me dit : Voyez si vous ne connaissez point des Dominicains qu’on appelle nouveaux Thomistes, car ils sont tous comme le Père Nicolaï. J’en connus aussi entre ceux qu’il me nomma ; et, résolu de profiter de cet avis et de sortir d’affaire, je le quittai et allai d’abord chez un des disciples de M. Le Moyne.

Je le suppliai de me dire ce que c’est qu’avoir le pouvoir prochain de faire quelque chose. Cela est aisé, me dit-il : c’est avoir tout ce qui est nécessaire pour la faire, de telle sorte qu’il ne manque rien pour agir. Et ainsi, lui dis-je, avoir le pouvoir prochain de passer une rivière, c’est avoir un bateau, des bateliers, des rames, et le reste, en sorte que rien ne manque. Fort bien, me dit-il. Et avoir le pouvoir prochain de voir, lui dis-je, c’est avoir bonne vue et être en plein jour, car qui aurait bonne vue dans l’obscurité