Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/136

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impuissance. C’est pourquoi j’ai voulu irriter plus vivement leur pudeur, afin que les plus grossiers reconnaissent que, s’ils se taisent, leur patience ne sera pas un effet de leur douceur, mais du trouble de leur conscience.

Voilà ce qu’il dit, mes Pères, et ainsi : Ces gens-là, dont on sait les histoires par tout le monde, sont si évidemment injustes et si insolents dans leur impunité, qu’il faudrait que j’eusse renoncé à Jésus-Christ et à son Église, si je ne détestais leur conduite, et même publiquement, autant pour me justifier que pour empêcher les simples d’en être séduits.

Mes Révérends Pères, il n’y a plus moyen de reculer. Il faut passer pour des calomniateurs convaincus, et recourir à votre maxime, que cette sorte de calomnie n’est pas un crime. Ce Père a trouvé le secret de vous fermer la bouche : c’est ainsi qu’il faut faire toutes les fois que vous accusez les gens sans preuves. On n’a qu’à répondre à chacun de vous comme le Père Capucin, mentiris impudentissime. Car que répondrait-on autre chose, quand votre Père Brisacier dit, par exemple, que ceux contre qui il écrit sont des portes d’enfer, des pontifes du diable, des gens déchus de la foi, de l’espérance et de la charité, qui bâtissent le trésor de l’Antéchrist ? Ce que je ne dis pas (ajoute-t-il) par forme d’injure, mais par la force de la vérité. S’amuserait-on à prouver qu’on n’est pas porte d’enfer, et qu’on ne bâtit pas le trésor de l’Antéchrist ?

Que doit-on répondre de même à tous les discours vagues de cette sorte, qui sont dans vos livres et dans vos avertissements sur mes lettres ? par exemple : Qu’on s’applique les restitutions, en réduisant les créanciers dans la pauvreté ; qu’on a offert des sacs d’argent à de savants religieux qui les ont refusés ; qu’on donne des bénéfices pour faire semer des hérésies contre la foi ; qu’on a des pensionnaires parmi les plus illustres ecclésiastiques et dans les Cours souveraines ; que je suis aussi pensionnaire de Port-Royal, et que je faisais des romans avant mes Lettres, moi qui n’en ai jamais lu aucun, et qui ne sais pas seulement le nom de ceux qu’a faits votre apologiste ? Qu’y a-t-il à dire à tout cela, mes Pères, sinon Mentiris impudentissime, si vous ne marquez toutes ces personnes, leurs paroles, le temps, le lieu ? Car il faut se taire, ou rapporter et prouver toutes les circonstances, comme je fais quand je vous conte les histoires du P. Alby et de Jean d’Alba. Autrement, vous ne ferez que vous nuire à vous-mêmes. Toutes vos fables pouvaient peut-être vous servir avant qu’on sût vos principes ; mais à présent que tout est découvert, quand vous penserez dire à l’oreille qu’un homme d’honneur, qui désire cacher son nom, vous a appris de terribles choses de ces gens-là, on vous fera souvenir incontinent du mentiris impudentissime du bon Père Capucin. Il n’y a que trop longtemps que vous trompez le monde, et que vous abusez de la créance qu’on avait en vos impostures. Il est temps de rendre la réputation à tant de personnes calomniées. Car quelle innocence peut être si généralement reconnue, qu’elle ne souffre quelque atteinte par les impostures si hardies d’une Compagnie répandue par toute la terre, et qui sous des habits religieux, couvre des âmes si irréligieuses, qu’ils commettent des crimes tels que la calomnie, non pas contre leurs maximes, mais selon leurs propres maximes ? Ainsi l’on ne me blâmera point d’avoir détruit la créance qu’on pouvait avoir en vous ; puisqu’il est bien plus juste de conserver à tant de personnes que vous avez décriées la réputation de piété qu’ils ne méritent pas de perdre, que de vous laisser la réputation de sincérité que vous ne méritez pas d’avoir. Et comme l’un ne se pouvait faire sans l’autre, combien était-il important de faire entendre qui vous êtes ! C’est ce que j’ai commencé de faire ici ; mais il faut bien du temps pour achever. On le verra, mes Pères, et toute votre politique ne vous en peut garantir, puisque les efforts que vous pourriez faire pour l’empêcher ne serviraient qu’à faire connaître aux moins clairvoyants que vous avez eu peur, et que votre conscience vous reprochant ce que j’avais à vous dire, vous avez tout mis en usage pour le prévenir.